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l’intérim des affaires étrangères, et le duc d’Aiguillon, créature de Mme Du Barry, allait lui succéder. C’était un fâcheux contre-temps pour Gustave, dont Choiseul avait désiré sincèrement le succès. Toutefois le comte Scheffer, pendant son ambassade en France, avait beaucoup connu la mère du duc d’Aiguillon, et ce fut la première amitié qui accueillit à Paris les princes suédois : Gustave eut ainsi de nouveau une ouverture particulière vers le principal ministre. Il n’avait pas non plus négligé de se ménager l’accès auprès de la maîtresse dirigeante, et il obtint même de pouvoir offrir un riche collier au petit chien de Mme Du Barry ; mais ses goûts, d’accord avec ses intérêts, l’appelaient encore ailleurs. Il fallait se montrer dans ce Paris que venaient visiter les rois, il fallait paraître au milieu de cette société polie qui prononçait des arrêts par-devant l’Europe : Gustave aspirait à connaître, à partager ses sentimens et ses plaisirs ; il voulait être adopté par elle. Dès le lendemain de son arrivée, il était au bal masqué de l’Opéra ; il s’empressa de visiter la vieille Mme Du Deffand, et se fit présenter dans les principaux salons parisiens, où se rencontraient, mêlés au grand monde, les hommes de lettres et les philosophes. Gustave se donnait pour un des leurs, défendant Voltaire contre le maréchal de Broglie, qui lui imputait tout le mal des dernières années, écoutant d’Alembert et les encyclopédistes, comme un de leurs plus ardens sectateurs, acceptant de Marmontel la dédicace des Incas, après avoir déjà fait bon accueil, quatre ans plus tôt, au Bélisaire, que Versailles et la Sorbonne, Frédéric et Catherine II, avaient trouvé si hardi, et recevant enfin, comme insigne récompense d’un si beau zèle, l’honneur exceptionnel d’une visite de Rousseau, que Rulhière lui amena.

Rulhière, avec Scheffer et Creutz, fut pour Gustave un guide utile dans les salons de la plus haute société parisienne, auprès de laquelle un récent épisode l’avait mis en faveur. Étant secrétaire d’ambassade à Saint-Pétersbourg, il avait écrit une histoire détaillée de ce dont il avait été le témoin bien informé lors de l’avènement de Catherine II. L’impératrice, qui redoutait la publication d’un tel ouvrage, lui avait fait offrir par son agent à Paris, le baron Grimm, 30,000 livres pour qu’il fît certaines suppressions ; il avait refusé, et l’on n’avait pu obtenir de lui autre chose que la promesse de ne point publier son livre avant la mort de Catherine. Ce trait de désintéressement et de courage avait fait sa fortune auprès de l’opinion, et le duc de La Rochefoucauld, pendant un voyage à Stockholm en 1769, l’avait désigné au choix de Louise-Ulrique pour écrire l’histoire de Suède. Par lui, Gustave fit la connaissance de la comtesse d’Egmont, la célèbre fille du maréchal de Richelieu, qui allait devenir sa plus ardente amie. Il lia également un commerce d’esprit, dont nous verrons plus tard les curieux témoignages, avec la comtesse de