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REVUE MUSICALE.


La saison s’avance, et l’année s’écoulera probablement sans laisser un bien vif, souvenir dans les annales de l’art et surtout de la musique dramatique. Rien en effet ne s’annonce ; aucun homme, aucune œuvre ne s’élève au-dessus de l’horizon, et les théâtres, nous l’avons déjà dit, ne vivent que de leur ancien répertoire ; dont les chefs-d’œuvre sont bien souvent défigurés par une exécution misérable. Il faut avoir assisté à quelques représentations de Robert le Diable, des Huguenots, du Comte Ory, il faut entendre Zampa à l’Opéra-Comique et le Barbier de Séville aux Italiens pour se faire une idée de l’état où se trouve aujourd’hui le goût de ce public composite, qui remplit les salles de spectacle. Il ne juge plus, ce public formé d’élémens divers, où domine le voyageur des chemins de fer ; il s’amuse ou il s’ennuie de ce qu’il voit et de ce qu’il entend, il se laisse aller à la sensation qu’il éprouve sans se soucier de l’apprécier en lui assignant un rang dans la hiérarchie des émotions qu’éveille l’art dramatique dans ses diverses manifestations. Il y aurait bien d’autres réflexions à faire sur un sujet qui touche à toute l’économie des plaisirs publics. Faute de mieux et pour varier un peu son répertoire, l’Opéra a donné le 19 février un nouveau ballet, la Marchera ou les Nuits de Venise, en trois actes et six tableaux. Le scenario est de M. Saint-George et de l’Italien M. Rota. La scène se passe à Venise, et voici sur quelle donnée quasi historique les auteurs ont bâti leur scénario. Dans l’année 1730, il y avait à Venise une célèbre danseuse qui portait le nom de la Zanzara. Elle était l’idole du public, qui accourait chaque soir au théâtre où elle produisait son merveilleux talent. La Zanzara, devenue riche grâce à la munificence de ses nombreux admirateurs, acheta un beau palais où elle recevait les premiers personnages de Venise. On dit qu’il se leva une rivale, une zingara de Bohême, qui parut sur la place de Saint-Marc le visage couvert d’un loup de velours noir qu’elle ne quittait jamais. Un jeune seigneur voulut un jour, à ce qu’il paraît, soulever le masque de cette ballerine mystérieuse qui excitait la curiosité générale ; mais la zingara se défendit en repoussant le téméraire par un coup de poignard qui aurait blessé grièvement le jeune seigneur ; mais ce qui paraît encore plus plaisant dans cette historiette, c’est qu’on aurait découvert, quelques années après l’événement, que la mystérieuse bohémienne était la Zanzara elle-même, qui, éprise d’un gondolier, se déguisait et se masquait pour voir avec plus de sécurité son obscur amant. Se non è vero, je ne me charge pas de prouver le contraire. Voici en quelques mots comment est distribué le scenario de MM. Saint-George et Rota. Le rideau se lève sur une place de Venise où une foule joyeuse attend Donato Rizzi, jeune peintre qui revient dans sa patrie après avoir été couronné aux concours de Rome et de Florence, Lorsque Donato