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cours. Nous en avons vu qui se réduisaient pendant des mois entiers au pain et à l’eau pour acheter les livres nécessaires à leurs études. Ce n’est qu’à l’université d’Athènes qu’on voit se renouveler presque tous les jours le trait de Ronsard et de Baïf veillant des nuits entières dans leur mansarde, et se passant tour à tour leur unique chandelle pour mener à bonne fin le travail commencé. Quand ils ont terminé les trois ans de leur cours d’études, ces vaillans étudians retournent dans leur pays natal pour y répandre la civilisation, les sciences et les idées modernes. Certes le vieux Colocotronis avait bien raison quand il disait le jour de l’inauguration de l’université d’Athènes : « Voilà un palais qui donnera quelquefois de l’embarras à celui du roi ; mais c’est lui qui dévorera la Turquie, et il fera plus pour la patrie que nous autres klephtes ignorans nous n’avons pu faire avec nos sabres et nos fusils. »

Il y a peu de villes en Europe qui soient le théâtre d’un mouvement intellectuel plus actif que celui d’Athènes. Le premier travail des Grecs a porté sur leur propre idiome. Ils n’ont pas été plus tôt délivrés du joug ottoman qu’ils ont affranchi leur langue des mots turcs qui l’avaient envahie, et, par la même occasion, des mots francs qui en altéraient l’unité. Jamais décret de souverain absolu ne fut plus ponctuellement obéi que ne l’a été ce vœu de quelques puristes, et cela non pas seulement dans la conversation des hommes éclairés, mais dans le langage même des classes inférieures. Ce qui est remarquable, c’est que les hommes du barreau, regardés dans les autres pays comme les plus grands corrupteurs de la langue, en ont été en Grèce les réformateurs. Le peuple d’Athènes a été de tout temps, il est encore aussi ami de la chicane que les Normands les plus processifs ; les tribunaux ne désemplissent pas d’acteurs et de spectateurs. Les avocats ont tous étudié avec amour la langue grecque ancienne et fait une fréquente lecture de ses grands prosateurs, du facile Isocrate en particulier : leurs discours deviennent donc comme une école pour leurs cliens et leurs auditeurs. En même temps l’église est une autre école de bon langage, grâce à la récitation des admirables offices de saint Jean Chrysostome et de saint Basile, à la lecture journalière de l’Évangile dans le texte original. Le vieux Coray avait commencé, avant l’affranchissement de la Grèce, la-réforme de la langue. À leur rentrée dans leur pays, ses admirateurs et ses disciples ont voulu la continuer, et leurs efforts ont été encouragés par le goût général pour la philologie, car la philologie est la passion de tous les étudians grecs, non-seulement de ceux qui se vouent au professorat, mais de ceux qui veulent se consacrer aux lois, à la médecine, à l’église et à l’administration publique : le beau parler grec est souvent là ce qu’a été chez nous à certaines époques la faconde de la tribune., En France,