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tandis qu’on laissait dans la part des Ottomans tous les cantons fertiles dont les produits auraient pu devenir une source de revenus pour le gouvernement hellénique. Cependant, on pouvait vivre, et tout ce que la nation est parvenue, durant ces trente années, à créer en dehors du gouvernement par l’initiative des particuliers et par la puissance de l’esprit d’association, aussi développé chez les Grecs que chez les Anglais, donne la mesure de ce qu’aurait pu faire le pouvoir.

Au lieu de dépenser une partie très considérable du budget à entretenir une armée inactive, trop nombreuse pour le chiffre de la population et pour les revenus de l’état, trop faible pour enlever une seule province à la Turquie, on pouvait, en adoptant le même système que la Suisse, en ayant seulement un très petit nombre de soldats en service permanent et une landwehr bien exercée par des manœuvres annuelles, décupler les forces militaires du pays et en même temps conserver plusieurs milliers de bras à l’agriculture, accroître les forces productives, créer, avec une partie de l’argent dépensé pour une armée insuffisante, des routes qui auraient répandu dans les provinces les plus reculées l’abondance et la prospérité. Au lieu d’entretenir à grands frais une frégate, trois corvettes et quelques petits bâtimens à voiles et à vapeur, on pouvait développer par des subventions intelligentes la marine à vapeur de commerce, qui se fondait dans le port de Syra, et qui, comptant déjà douze grands navires à vapeur, en aurait eu bientôt vingt ou trente avec un concours actif du gouvernement, de telle sorte qu’en cas de guerre elle eût fourni bien plus de ressources en bâtimens, en officiers et en matelots expérimentés, que ne pouvait en donner la petite marine royale. Au lieu de copier la centralisation française et de couvrir le pays des rouages compliqués d’une bureaucratie qui, après l’armée, absorbe la presque totalité des recettes, la royauté pouvait créer une administration simple et peu coûteuse, former ses sujets à la vie politique en favorisant le développement de la vie municipale, à laquelle les Grecs sont éminemment aptes, et qui, préservée sous la domination turque, a été détruite par la régence. En agissant de cette manière, elle eût notablement augmenté la puissance morale du pays, et lui eût acquis plus de sympathies en Europe. Elle eût ouvert sans violence l’avenir d’agrandissement que rêve la Grèce en ajoutant à tous les élémens de dissolution qui minent l’empire ottoman l’exemple, donné à ses portes, d’un bon gouvernement, auquel toutes les provinces esclaves auraient tendu à se réunir ; elle eût opposé enfin un argument irréfutable aux politiques qui croient à la nécessité du maintien de la Turquie pour l’équilibre de l’Europe en prouvant la possibilité de former avec les populations orientales elles-mêmes des états forts et prospères qui