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dans l’Égypte, la Crète fit aussi retour au sultan ; mais Moustafa-Pacha était trop avisé pour n’avoir pas pris à l’avance toutes ses mesures, pour ne pas s’être assuré, par d’adroites démarches et des raisons sans réplique, la bienveillance des plus grands personnages de l’empire. Il fut maintenu dans ses fonctions, qu’il remplit sans encombre jusqu’en 1852. Des révoltes partielles, déterminées par des ordres venus d’Alexandrie ou de Stamboul à l’effet d’augmenter les impôts, avaient été apaisées presque sans effusion de sang, et le gouvernement avait toujours cédé, au moins sur quelques points. Après cet habile administrateur, qui partit pour prendre à Stamboul possession du grand-vizirat, la Crète fut gouvernée pendant trois ans par Mehemed-Emin-Pacha. C’était un très honnête homme, chez qui l’on trouvait toutes les vertus patriarcales des vieux Turcs sans aucun de leurs préjugés haineux contre l’Europe et les réformes. Moins ingénieux peut-être et moins rusé que Moustafa-Pacha, il avait la volonté ferme et l’esprit droit, il était bienveillant et juste pour tous. Sous sa main respectée, l’île fut tranquille malgré les espérances données aux raïas par la guerre de Crimée, et tout se réduisit à quelques manifestations hostiles que les Grecs se permirent à l’égard de bâtimens anglais ou français qui relâchèrent à La Canée. Il eut pour successeur en 1855 Véli-Pacha, fils de Moustafa, qui était né, qui avait été élevé dans l’île, et pour qui le grec était la langue de son enfance. Son ambassade à Paris, où il avait eu l’honneur de signer le traité d’alliance entre la France, l’Angleterre et la Turquie, lui avait fait une réputation qui ne se soutint ni en Bosnie, où il échoua complètement, ni dans l’île de Crète, d’où un soulèvement général le chassa au bout de trois ans. Annoncées avec fracas à toute l’Europe avant même d’avoir reçu un commencement d’exécution, les réformes qu’il tenta n’eurent d’autre effet que de fatiguer et d’indisposer toute la population de l’île, les musulmans aussi bien que les chrétiens. Quelques-unes même des améliorations projetées trahissaient une fâcheuse ignorance de l’état du pays. Pour ne citer qu’un exemple, le pacha voulait ouvrir entre Candie et La Canée une route carrossable, aussi large que nos plus belles routes impériales, quand il n’y avait pas dans l’île une autre voiture que sa calèche française, quand les sentiers de montagne, par lesquels seuls les denrées de l’intérieur peuvent arriver jusqu’aux ports d’embarquement, devenaient de jour en jour plus dangereux et plus impraticables. Il eût mieux valu, tout le monde le sentait, aller au plus pressé, refaire çà et là les chaussées, réparer les ponts vénitiens, dont chaque hiver emportait quelque lambeau ; mais quel bruit aurait fait en Occident ce modeste labeur ? J’éprouve quelque regret de ne pas avoir plus