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fourmillement lumineux. Le poursuivre dans ces conditions eût été folie, on y renonça. Nous allâmes donc reprendre humblement nos positions au fond de la baie et en vue des collines où se trouvait le poste d’observation.

Deux jours se passèrent ainsi : le troisième jour, même signal donné du haut des falaises par les rameaux blancs, même empressement et même tumulte sur les eaux de la baie. Cette fois le banc de pilchards s’était avancé assez loin dans les sables et dans les hauts-fonds pour qu’on pût l’attaquer avec toutes les chances de succès. Trois hommes déchargèrent alors les filets avec la rapidité foudroyante des armes à feu autour des poissons effrayés, dont quelques-uns cherchaient à tourner d’un autre côté, mais se trouvaient aussitôt repoussés par les bateaux vers la masse à moitié enveloppée déjà par la seine. Ces filets ont généralement cent soixante toises de longueur sur huit ou dix toises de profondeur : arrangés avec art, ils décrivent un cercle fatal et enferment toute une légion de pilchards ainsi que dans une fosse. Il faut maintenant fixer la prison mouvante au moyen de grapins de fer ou d’ancres marines ; on appelle cela, dans le langage technique, amarrer la seine. La joie se répand aussitôt sur tous les visages ; montés sur des barques légères, les pêcheurs cherchent à se faire une idée de l’étendue du butin et à compter à peu près le nombre de leurs prisonniers par les contours du cercle où ces derniers se débattent. Les poissons, à partir de ce moment, sont pris et bien pris ; mais on ne les retire point de l’eau tout de suite. Il arrive quelquefois que quatre ou cinq millions de pilchards sont circonvenus par la seine ; qui pourrait soulever à la fois toute cette masse ? Quand le banc est considérable, les heures, les jours même se passent avant qu’on puisse les extraire tous, et la difficulté est alors de les tenir en vie dans leur tombeau, où ils se trouvent pressés les uns contre les autres. Des barques sillonnent la surface de la baie, et au moyen d’un filet beaucoup plus petit que la seine, appelé tuck-net (de tuck, relever), les hommes écument en quelque sorte le banc de poissons et les jettent par panerées dans les bateaux, qui, une fois pleins, regagnent aussitôt le rivage. Une telle opération a reçu de ce second filet le nom de tuc-king. Les poissons ainsi repêchés sont reçus au fur et à mesure sur les bords par les femmes et les jeunes filles qui s’empressent de se livrer aux travaux du curage. C’est une autre scène de mouvement et d’activité. La quantité de pilchards saisis dans les eaux de Saint-Ives est quelquefois assez considérable pour emplir jusqu’à 34,000 barils ou hogsheads ; il est vrai que je parle des très bonnes années, et que dans d’autres ces mêmes tonneaux restent