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destement vêtue de la longue pièce de toile qui couvre les chrétiennes de l’Inde depuis l’épaule jusqu’à la cheville, elle se faisait remarquer au milieu de ses compagnes par la grâce naïve de son maintien. Cette dignité un peu sauvage, particulière aux femmes de l’Inde, était tempérée en elle par l’effet d’une éducation chrétienne; on eût dit une antilope des djungles, mais apprivoisée, quoique timide encore. Sa peau d’un brun foncé avait juste assez de transparence pour que la rougeur causée par l’émotion se laissât deviner sur ses joues. Aussi, lorsque Dévadatta, — redevenu le Déodat des premiers jours pour tous ses anciens amis, — commença enfin à se remettre de sa blessure, il demeura comme ébloui par les charmes de la jeune fille : la convalescence est un temps propice aux sentimens doux et affectueux. Les furtives et discrètes apparitions de Nanny ne firent que rendre plus vif encore l’amour qu’il éprouvait pour elle.

Cependant on s’inquiétait à Chillambaram de l’absence prolongée de Dévadatta. Un jour qu’il était assis sur le seuil de la porte, auprès de la vieille Monique, le pourohita se montra tout à coup devant lui. — Salut à toi, Dévadatta! lui dit-il; je suis venu pour t’emmener... Es-tu en état de me suivre?

— Ma blessure est en voie de guérison, répondit le jeune homme; mais je ne vous suivrai pas.

— Insensé, dit le pourohita n’es-tu pas mon fils par la voie de l’adoption?... Nous t’attendons tous là-bas.

— Non, répliqua Déodat, aucun lien sérieux ne m’unit à vous... Vous avez usé de fraude pour me retenir dans vos pagodes.

— Ingrat, fils ingrat! s’écria le pourohita, ne t’ai-je pas déclaré héritier de mes biens? N’as-tu pas joui près de moi de tous les bonheurs de la vie ?

— Hélas! ce que vous dites est vrai, répondit le jeune homme : vous m’avez associé à votre existence agréable et facile ; mais encore une fois je ne puis vous appartenir...

Puis, le père Joseph ayant paru sur le seuil de la porte : — Tenez, ajouta-t-il, voilà mon père, et cette femme vénérable qui m’a élevé avec tant de tendresse, cette femme est vraiment ma mère.

— Il est fou! murmura le pourohita... On l’a ensorcelé ici!... Voyons, Dévadatta, fils de brahmane par la naissance et par l’adoption, veux-tu pourrir dans ce misérable hameau?

— Je veux y vivre. Ici on sait aimer ses semblables...

— Prends garde, interrompit le pourohita d’un ton de colère, nous saurons bien t’arracher de ce lieu où tu as causé tant de scandale à toute notre caste!... Ceux de Combaconam avaient raison de le dire : tu as perdu la tête, et tu as juré de nous couvrir de honte.