Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 50.djvu/556

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en chute au fond d’une gorge, tout meurtri, mais vivant encore. Trahi par un paysan, il est pris, garrotté, conduit à Naples en voiture ; les caporaux, les soldats tirent des coups de fusil en signe de joie, et le peuple proteste par ses larmes. La justice s’assemble et prononce l’arrêt de mort, qui s’exécute presque aussitôt devant une foule désolée.

Ce récit populaire, choisi entre mille, montre bien quel singulier prestige entourait le bandit il y a quelques années. On ne le regardait pas comme un malfaiteur, mais comme un poétique déclassé pareil aux flibustiers de Byron. Aimé par les femmes, béni par les prêtres, il était acclamé par le peuple. Maintenant même, dans bien des campagnes, contre les parois blanchies à la chaux des maisons de paysans, s’étalent de grossières lithographies qui rappellent les hauts faits de Mammone ou de Fra-Diavolo[1]. Le bandit ménageait les pauvres et attaquait les riches ; il trouvait partout des complices et des adhérens. Quelquefois il mourait de faim, il était alors secouru par les indigens ses confrères. Il arrivait même que les gens de la campagne exerçaient le brigandage comme un métier et ne s’en cachaient pas devant les autorités civiles. Un préfet napolitain (c’est Stendhal qui raconte le fait) reproche à un paysan de ne pas payer ses impôts. « Que voulez-vous que je fasse, monsieur ? répond le paysan : la grande route ne produit rien, il ne passe personne, j’y vais cependant tous les jours avec mon fusil ; mais je vous promets d’y aller chaque soir, jusqu’à ce que j’aie ramassé les 13 ducats qu’il vous faut. » Très souvent, après quelques années de cette vie irrégulière, le bandit rentrait dans son village, où il vivait impunément de ses rentes. Le soir, il s’asseyait dans la rue pour prendre le frais, et toutes les filles et les enfans de l’endroit faisaient cercle autour de lui quand il voulait bien raconter ses expéditions qu’il appelait ses campagnes.

Des brigands de cette famille rôdaient autrefois un peu partout, seuls ou par bandes ; les déserteurs, les réfractaires, les repris de justice, connaissaient le chemin de la Sila, du Matese et cette fameuse route de Rome, qui eut de tout temps une mauvaise réputation ; ils s’y rencontraient en nombre et formaient une compagnie anonyme exploitant le pays en dépit des gardes urbaines et des gendarmes. Quelques-unes de ces bandes ne purent jamais être dé-

  1. Le général La Marmora me racontait qu’un jour, dans une tournée militaire à travers le pays de Bénévent, il rencontra un bourgeois qu’il fit causer, lui demandant ce qu’on disait de Caruso, de Schiavone, que l’on confond souvent à tort avec Chiavone, et d’autres brigands qui venaient de désoler la province. « Eux des brigands ! s’écria le bourgeois indigné d’entendre ainsi profaner ce beau nom, ce sont tout bonnement des scélérats et des misérables ! »