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mères. Il fallait à Gustave III et à M. de Vergennes, en présence d’une telle anarchie, des précautions extrêmes; tout pouvait être perdu sans retour, s’ils découvraient imprudemment leurs projets et leur plan de conduite.

Gustave se montra fort habile. En dépit des cabales, il avait été bien accueilli à son retour de France par le peuple de Stockholm ; son affabilité, son facile accès, même sa première harangue aux états assemblés, avaient confirmé cette heureuse impression. La foule applaudissait volontiers un prince né Suédois et parlant enfin, après deux rois allemands, la langue nationale. Aux excès parlementaires, dans le moment où ils étaient encore pour lui très dangereux, Gustave savait fort bien opposer l’apparente indolence d’un prince bénévole qui se voyait avec plaisir déchargé d’une partie de son fardeau, ou bien la légèreté feinte d’un étourdi livré à de petites choses : on le voyait alors s’occuper de dessin, de broderie, de costumes de théâtre, tout au plus de quelque cérémonial à régler: c’est ainsi qu’il dessina lui-même, dans ces premiers mois, la décoration de l’ordre de Vasa, qu’il venait d’instituer. S’il se mêlait des affaires, c’était uniquement, semblait-il, pour réconcilier les partis, remplir le rôle de médiateur et sauvegarder la liberté. « Le dernier terme de mon ambition, disait-il le 25 juin, à l’ouverture de la diète, est de gouverner un peuple libre. Ne croyez pas que ce soient là de vaines paroles que démentiraient mes secrets sentimens; elles sont le fidèle langage d’un cœur trop sincère pour n’être pas de bonne foi dans ses promesses, et trop fier pour y manquer jamais. » Cinq mois plus tard, le 28 novembre 1771, l’anarchie étant à son comble entre les différens ordres de la diète, il réunit le sénat et les présidens des quatre chambres : «Si mes intentions étaient moins droites et moins pures, leur dit-il, je pourrais attendre les événemens et profiter de vos divisions aux dépens des lois et de la liberté; mais la première fois que je saluai les états en qualité de roi, je contractai avec eux un engagement d’autant plus sacré qu’il était libre, engagement trop solennel pour me permettre d’oublier ce que mon honneur m’impose, et, bien plus, ce qu’exigent de moi les sentimens de mon cœur... Je ne demande rien pour moi-même; dégagé de tout intérêt personnel, j’aspire à faire revivre entre le roi et les sujets cette mutuelle confiance que les derniers temps ont détruite. »

À ces paroles conciliantes Gustave mêla toutefois, dans cette circonstance même, d’assez vifs reproches sur les dissensions intestines, sur l’anarchie qui en résultait, et sur la misère du peuple, dont il rendait les représentans de la nation responsables. Cette partie de sa harangue, habilement préparée, s’adressait à l’opinion