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gement, que ses exécutions sommaires soient toujours le dernier mot de l’équité appliquée aux affaires humaines. L’auteur des Etudes a ce qu’on pourrait appeler des lignes droites : il y a des considérations politiques et littéraires dont il tient peut-être peu de compte, ou qu’il méconnaît; mais ce qui fait le charme sévère de son talent, c’est qu’il entre dans l’étude de l’histoire contemporaine avec ces deux choses que rien ne remplace, un sens supérieur de la moralité humaine et un goût viril, réfléchi et ardent de la liberté. C’est avec ces deux flambeaux, dont la lumière est trop souvent obscurcie, que M. Lanfrey pénètre dans ce prodigieux amas d’événemens, mêlés de tant de grandeur et de tant de désastres, de tant d’héroïsme et de si crians excès. Il y a bien des années déjà, M. Royer-Collard représentait le dernier demi-siècle, à partir de la révolution française, comme une grande école d’immoralité. Ce n’est pas certainement l’humiliant privilège de ce demi-siècle; d’autres périodes, sans avoir les mêmes grandeurs, n’ont pas été des écoles de morale, et M. Royer-Collard, après tout, se servait d’une expression grossissante pour caractériser d’un trait une époque où tout a pu arriver, où tout est arrivé en effet, où la conscience publique a plié également, et souvent sans protester, sous les catastrophes les plus diverses. C’est pour que cette école d’immoralité ne se perpétue pas par une sorte de transfiguration des faits, que celui qui raconte, devenant juge, est tenu, sous peine de se faire complice, de mesurer les événemens à la règle souveraine de la justice et du droit, non selon le succès et la durée.

Quelle que soit en principe la légitimité de la révolution française, cette légitimité ne suffit pas à couvrir les excès, les crimes qui ont été commis en son nom, qui se sont parés du voile trompeur de la nécessité, et qui se sont mis quelquefois à l’abri sous la probité reconnue des hommes. Carnot est justement un des témoins qu’invoque M. Lanfrey en étudiant sa vie. C’est assurément un des hommes les plus intègres, les plus dévoués, et qui en même temps, membre du comité de salut public, prête sa signature à des exécutions contre lesquelles son honnêteté se révolte en secret, qu’il ne ratifie, comme on l’a dit pour expliquer sa conduite, que pour ne pas affaiblir le gouvernement, pour ne pas rompre le lien de solidarité du terrible comité devant l’ennemi. Les services rendus par Carnot comme organisateur militaire, sa probité et son désintéressement privé, suffisent-ils à absoudre ces ratifications muettes par patriotisme, ce stoïcisme singulier qui livre les victimes pour ne pas élever une voix discordante au sein du comité? « Que cela soit d’une grande âme, dit M. Lanfrey, je le veux bien;... mais supposez que Carnot, au lieu d’être un héros, n’eût été qu’un caractère pusilla-