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REVUE. — CHRONIQUE.

quinet, ennemi des idées préconçues, s’est-il arrêté en présence d’un tel accident, sans tenir bon, malgré tout, pour une théorie qui l’eût conduit jusqu’à Bourdaloue, le vrai prédicateur approprié à son temps, et dont l’éloquence résume en réalité les progrès faits jusqu’à lui.

L’auteur des Prédicateurs française au dix-septième siècle s’est borné à montrer, par l’examen détaillé des œuvres qu’elle a produites, les vicissitudes de l’éloquence de la chaire depuis la fin du XVIe siècle jusqu’au moment où parut Bossuet. Après avoir constaté l’abaissement de la prédication au commencement de cette période, il met habilement en relief les principaux traits de ce qu’on a justement appelé la réforme catholique, qui a produit un renouvellement fécond des croyances chrétiennes et de l’esprit chrétien au sein de la société du XVIIe siècle. Avec quelle ardeur ce mouvement s’est produit, personne ne l’ignore : c’est l’époque de saint Vincent de Paul, de César de Bus, de Mme de Chantal, c’est-à-dire de la charité la plus ingénieuse et la plus sincère, et de quelques-unes des plus importantes fondations religieuses, — enfans trouvés, prêtres des missions, sœurs de charité. M. Jacquinet réserve avec raison une large place aux doctrines et à l’action des grands réformateurs du clergé français : à ce titre, Pierre de Bérulle et Saint-Cyran, outre saint Vincent de Paul, figurent dans son livre à côté des plus célèbres sermonnaires qui, de 1610 à 1650, sortent de l’Oratoire, de Port-Royal ou de la société de Jésus, à côté du père Le Jeune, dont nos jeunes prêtres étudient encore assidûment les œuvres, de Singlin, de Lingendes, etc. Chemin faisant, l’auteur apprécie, dès qu’il les rencontre, les diverses circonstances et les influences extérieures qui viennent favoriser ou entraver les progrès de la chaire : domination de l’hôtel de Rambouillet ou de l’Académie française, règne de la rhétorique fastueuse à l’exemple de Balzac, et même renaissance inattendue de la prédication burlesque dans les plus turbulentes années de la régence. Le livre s’arrête vers la fin de la minorité de Louis XIV, au moment où prévaut l’esprit de ces utiles précurseurs qui, à défaut du génie et du talent créateurs, eurent la sévérité des principes, l’ardeur de la foi et la sincérité du langage.

Le cadre du livre est, comme on voit, assez beau, et M. Jacquinet l’a étendu suivant des proportions justement calculées. Le sujet même est des plus attachans : contenu habilement dans les limites du domaine littéraire, il offre une intéressante succession d’aspects, tant est varié l’accent de la parole religieuse dans cette vivante époque dont personne, avant M. Jacquinet, n’avait entrepris l’étude à ce point de vue. Le nombre est d’ailleurs considérable des pages excellentes qui pourraient être détachées des Prédicateurs au dix-septième siècle pour justifier ce que nous avons dit en commençant du sérieux mérite de son ouvrage. J’en choisirai deux ou trois seulement où se trouvent appréciés des orateurs fort divers, et qui par là mettront au jour à la fois l’agréable variété du livre et le talent flexible de l’auteur. La première est celle où les visibles défauts de l’éloquence charmante de saint François de Sales sont confessés et absous. « Chez lui, dit M. Jacquinet, les pensées subtiles, les images raffinées n’ont rien de pédantesque : le bel esprit dans ses sermons n’est point affecté, au sens propre du mot, et n’a rien d’ambitieux… On retrouve, on sent jusque dans