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let 1822, il passa l’année suivante (mars 1823) au 55e de ligne avec le grade de capitaine ; il espérait servir dans l’expédition d’Espagne. Étant demeuré quatre années sans avancement, il se fit réformer pour cause de délicatesse de santé, le 22 avril 1827, à l’âge de trente ans. Il en avait passé treize sous les drapeaux. Est-il besoin d’ajouter que ses notes militaires le présentaient comme un officier de la plus grande distinction ? « Les événemens que je cherchais, a-t-il dit lui-même, ne me vinrent pas aussi grands qu’il me les eût fallu. Qu’y faire ? » Il ne lui manqua pour parvenir aux grades les plus élevés qu’une santé plus aguerrie, le temps, l’occasion, et un moindre talent qui le sollicitât ailleurs. Ses deux vocations le tiraient en sens contraire : il dut opter entre elles à une certaine heure. Il avait bien compté, ai-je dit, faire la guerre d’Espagne ; mais il eut l’ennui de rester en sentinelle sur la frontière. Il se dédommagea de cette inaction forcée par quelques-uns de ses premiers et de ses plus beaux poèmes, et cette vue des Pyrénées hâta peut-être aussi l’idée du roman de Cinq-Mars.

Le début d’Alfred de Vigny en littérature date de 1822; son premier recueil poétique parut sans nom d’auteur[1]. Il payait, par son poème d’Héléna, son tribut d’enthousiasme à la cause des Grecs ; en même temps, par les pièces de la Dryade, de Symétha, il jouait de la flûte sur le mode d’André Chénier, ressuscité depuis quelques années et mis en lumière. La vraie date authentique de ces poèmes néo-grecs de M. de Vigny est celle de leur publication, et il n’y a pas lieu, pour l’historien littéraire qui tient à être exact, de recourir aux dates antérieures et un peu arbitraires que le poète a cru devoir leur assigner depuis. M. de Vigny en effet, en les réimprimant dans l’édition de 1829 et ensuite dans ses œuvres complètes, a jugé bon de les vieillir après coup de quelques années. Il a mis au bas de cette pièce de la Dryade ces mots : « écrit en 1815. » Il a mis au bas de Symétha la même remarque. Pour le Bain d’une jeune Romaine, il fait plus, il note la journée précise où elle aurait été composée « le 20 mai 1817. » La Dryade y prend pour second titre celui d’idylle « dans le goût de Théocrite. » Pourquoi ces minutieuses précautions rétroactives ? Pour échapper sans doute au reproche (si c’en est un) d’imitation et de ressemblance prochaine, pour qu’on ne dise pas qu’il s’est inspiré directement d’André Chénier, dont les poésies avaient été données par M. de Latouche en 1819. Tout cela, c’est de la coquetterie encore. Piquante contradiction ! d’une part on se rajeunit volontiers de deux

  1. Voici le titre exact : POEMES. — HELENA, le Somnambule, la Fille de Jephté, la Femme adultère, le Bal, la Prison, etc.; un mince in-8o, 1822.