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quels figurait le roi. Ses folles prodigalités l’avaient réduit aux derniers expédiens quand il tomba entre les mains d’un gentilhomme normand, George du Hamel, sieur de La Tréaumont, militaire réformé, perdu de dettes comme lui, ne rêvant qu’à refaire sa fortune. L’idée leur vint de faciliter à la Hollande et à l’Espagne une descente en Normandie moyennant un million. Une dame de Villars, un chevalier de Préaux, son amant, étaient du complot et promettaient leur influence auprès de la noblesse normande, très douteuse depuis la fronde et fort mécontente en ce moment à cause de quelques nouveaux impôts. Les correspondances par la poste étant dangereuses, il fallait un émissaire. Un vieux professeur hollandais, Affinius van den Enden, retiré à Paris, où il avait fondé une institution, fut envoyé à Bruxelles pour s’entendre avec le général Monterey sur la descente des Hollandais. Le 10 septembre 1674, van den Enden reprit le chemin de Paris, la tête pleine d’illusions ; mais, à peine arrivé à la barrière, il fut arrêté. Le chevalier de Rohan avait été fait prisonnier la veille en sortant de la chapelle de Versailles, et le lendemain La Tréaumont, alors à Rouen, fut surpris au lit. Blessé dans la lutte, il mourut dix-huit heures après, sans avoir fait le moindre aveu, mais laissant les papiers les plus compromettans.

Si ridicule que fût cette conspiration, Louis XIV, depuis longtemps outré contre le chevalier de Rohan, voulut qu’elle fût jugée avec éclat. Une commission extraordinaire fut immédiatement formée, et deux maîtres des requêtes les plus habiles, de Bezons et de Pomereu, eurent ordre d’instruire. Le roi, qui appréciait chaque jour davantage le lieutenant de police, lui confia l’emploi de procureur-général de la commission. Le premier soin de La Reynie fut de circonscrire l’affaire dans la crainte de l’éterniser et de manquer le but principal. Persuadée que la noblesse normande était de connivence avec les agitateurs, la cour n’avait rien épargné pour provoquer des révélations. Plus de soixante personnes avaient été arrêtées, et l’affaire, surchargée de tant d’interrogatoires, avançait à peine. Effrayé du développement qu’elle avait pris malgré lui, La Reynie démontra par d’excellentes raisons les inconvéniens de la marche suivie jusque-là. « Je ne sais, écrivait-il à Colbert le 16 octobre 1674, s’il est bien à propos de faire le procès à tant de gens à la fois, de remplir ainsi les prisons, et si, au lieu de la justice que tout le monde attend de ceux qui se trouveront coupables et de la terreur qu’elle doit imprimer, on ne trouvera point quelque chose d’affreux dans cette multitude d’accusés et de criminels, et s’ils ne deviendront pas moins criminels au public par le nombre. »

Malheureusement pour le chevalier de Rohan, sa culpabilité