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l’envoyait à la Bastille ou au For-l’Evêque. Les plus heureux, ceux qu’un protecteur puissant prenait sous son patronage, en étaient quittes pour un ordre d’exil.

En même temps qu’on soumettait à de misérables séductions les protestans besoigneux, rien n’était épargné pour ramener au catholicisme ceux qu’on avait cru devoir, à raison de leur obstination ou de quelque motif particulier, faire enfermer à la Bastille. La correspondance de M. de Besmaux est là-dessus très explicite. Le 4 mars 1686, il prévenait La Reynie qu’un des prêtres admis à la Bastille pour la conversion des prisonniers pressait fort M. Masclary, M. de Bessé et sa femme, et en espérait beaucoup. « Je m’y appliquerai de mon mieux, ajoutait-il, et vous avertirai de la suite. » De la part d’un commandant de citadelle, cette application était au moins singulière. Sur ces entrefaites, un exempt de robe courte avait reçu je ne sais quel ordre concernant Mme de Bessé. « Je vous supplie, écrit alors Besmaux à La Reynie, que M. Auzillon n’exécute pas l’ordre qu’il a pour Mme de Bessé. M. l’abbé de Lamon l’a mise à la raison, aussi bien que son mari. Tous deux méritent de la louange d’avoir très fort combattu et d’avoir pris cette résolution. Mme de Bourneau, aussi éclairée que Mme de Bessé, est de la partie, et si M. (l’abbé) Gervais a le loisir, vous saurez bientôt l’exécution. Je lui écris. » Veut-on avoir une idée des complications et des contradictions où cette malheureuse affaire avait jeté le gouvernement? A la même époque, Louvois conjurait M. de Barillon, ambassadeur en Angleterre, de décider les ouvriers français qui s’y étaient réfugiés pour cause de religion à rentrer en France, et M. de Barillon lui répondait (9 janvier 1687) qu’il s’y employait de son mieux, mais que les Anglais ne négligeaient rien de leur côté pour les retenir. Le 7 août suivant, l’ambassadeur annonçait à Louvois, comme une victoire, qu’il avait déterminé trois ouvriers papetiers à rentrer en France. Fallait-il donc commettre tant d’iniquités pour faire ensuite, parce qu’on avait besoin d’eux, de telles avances à des artisans que la crainte de la confiscation et de la mort n’avait pas empêchés d’aller chercher du travail hors de leur pays?

Quelle était la pensée intime de La Reynie sur les violences dont il fut le trop docile instrument? Sa correspondance avec Louvois nous l’aurait peut-être appris; on ne sait ce qu’elle est devenue. La conférence où il combattit l’appel des troupes à Paris pour provoquer des conversions, sa mauvaise humeur contre les indiscrets zélés qui compromettaient tout, les soins qu’il prenait pour empêcher les brutalités de la populace parisienne envers les protestans fidèles à leur croyance, indiquent assez qu’il était opposé aux rigueurs. Catholique convaincu (son testament en fournit la preuve),