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DE GABRIELLE A LAURENCE.


Août 1861.

Laurence, je n’ai que le courage de t’écrire ces quelques lignes. Je viens de perdre mon pauvre Flavien. Je suis toute seule, toute désespérée. Je sais maintenant combien je l’aimais. Faut-il donc que la mort rompe les liens qui nous étaient chers pour que nous comprenions à quel point ils étaient serrés? Je regrette cet homme excellent, si tendre pour moi, si heureux de mon bonheur. Je te quitte pour retourner près de lui, pour le voir encore. Il me semble qu’il va me parler. C’est une chose affreuse que la mort. Elle est là présente sous les yeux, qu’on ne se résigne pas à y croire. Que ne t’ai-je avec moi pour me jeter dans tes bras et y pleurer avec moins d’amertume !


DE LAURENCE A GABRIELLE.


Août 1861.

Quand cette lettre t’arrivera, rien ne te retiendra plus chez toi. Laisse donc ta maison, où tu rencontres à chaque pas les plus cruels souvenirs. Viens près de nous, Gabrielle. Nous tâcherons, par nos soins, d’adoucir ta douleur. Tu ne peux douter de notre amitié, n’est-ce pas, et particulièrement de toute l’affection de ta Laurence?


DE VICTOR A MAXIME.


Janvier 1862.

Je vous écris de Bourbon, mon cher ami. Nous attendons notre relève au premier jour, et nous allons rentrer en France. J’irai vous voir. Je veux, ne fût-ce qu’en marin qui passe vite, être témoin de votre bonheur. Si ce bonheur pourtant allait me décider à me marier! Il opérerait là une vraie conversion, je vous jure. Il serait temps d’ailleurs. Songez que j’ai bientôt trente-cinq ans. Mais à qui dis-je cela? à vous, qui vous êtes marié à quarante-trois et qui êtes heureux ! Il est vrai que vous êtes, que vous resterez éternellement jeune, tandis que moi j’ai beaucoup de cheveux blancs et plus de rides encore au caractère qu’au visage. Ces trois ans se sont écoulés tels que je les prévoyais : un exil en plein océan et sar des côtes sauvages. Je ne sais plus rien de la vie ni du monde. J’ignore s’il existe encore des femmes. Je me remettrai entre vos mains, et vous essaierez de faire quelque chose de moi; mais je doute fort que vous y réussissiez.

En tout cas, mon cher d’Hérelles, à bientôt. Il est possible que je vous paraisse très changé; mais ma vieille amitié pour vous sera du moins toujours la même.