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places fortes du monde, et de grands travaux étaient simultanément exécutés à Langres, Grenoble, Belfort, Besançon, etc.

Les travaux des ports de mer ne recevaient pas une moins vive impulsion, et Cherbourg[1], juste objet de l’orgueil de la France et de la jalousie inquiète de l’Angleterre, voyait consacrer à l’achèvement de ses fortifications et de son port de nouvelles dépenses, dont l’ensemble s’est élevé à plus de 9 millions sous le règne de Louis-Philippe.

Enfin l’armée et la marine, dont l’organisation avait été l’objet de grands perfectionnemens, recevaient un accroissement de forces nouvelles par l’extension des cadres, l’augmentation de l’effectif des diverses armes en France et dans les colonies, et une immense accumulation de matériel.

C’est sous le règne du roi Louis-Philippe, sous le patronage du prince de Joinville, qu’est né le Napoléon, cette belle création de M. Dupuy de Lôme, ce vaisseau modèle digne du grand nom qu’il porte. Il était presque entièrement achevé au moment de la révolution de 1848. Le roi n’avait pas encore décidé le nom qu’il porterait ; mais les parrains ne lui ont pas manqué : Arago l’avait nommé le 24 Février, et le président de la république l’a changé en Napoléon.

La question des vaisseaux cuirassés avait été également posée et mise à l’étude avant la révolution de 1848. Dès 1846 et 1847, de nombreuses expériences avaient eu lieu sur les côtes de la Bretagne pour découvrir les lois de la pénétration des boulets dans le fer, les plaques de tôle, les massifs de bois, et les résultats en sont consignés dans de précieux procès-verbaux qui doivent exister à Lorient. Enfin l’amiral Labrousse, alors capitaine de frégate, avait proposé dès cette époque l’emploi de l’éperon, et avait été autorisé à faire à Lorient les expériences qu’il jugerait nécessaires.

Ce rapide aperçu sur la situation de la marine française en 1848 ne serait pas complet, si nous n’ajoutions qu’une ordonnance royale de 1846 a fixé l’effectif des forces navales sur le pied de paix à 328 bâtimens, et qu’une voix autorisée, celle de l’empereur Napoléon III, a déclaré publiquement que le cadre arrêté sous le roi Louis-Philippe pouvait être invoqué comme répondant aux nécessités de la puissance maritime de la France[2].

  1. Ci-joint l’intéressant tableau des dépenses faites pour cette grande entreprise nationale par les divers gouvernemens qui se sont succédé depuis quatre-vingts ans :
    Ancien régime. 1783 à 1791 41,436,017 fr.
    République et directoire 1793 à 1800
    néant.
    Consulat et règne de Napoléon Ier 1801 à 1814 38,377,083
    Restauration 1814 à 1830 11,923,009
    Règne de Louis-Philippe Ier 1830 à 1848 49,123,095
    République 1848 à 1852 19,005,434
    Règne de Napoléon III
    (achèvement et inauguration)
    1852 à 1857 30,308,294
    Total général 190,274,702 fr.
  2. On ne lira pas sans un vif intérêt l’extrait suivant d’une lettre écrite à ce sujet par l’empereur Napoléon III à M. le comte de Persigny à l’époque où l’impulsion donnée à la transformation de notre flotte excitait en Angleterre une émotion assez profonde et assez générale pour menacer les bonnes relations des deux pays :
    « Saint-Cloud, le 27 juillet 1860.

    « Mon cher Persigny,

    « Les choses me semblent si embrouillées, grâce à la défiance semée partout depuis la guerre d’Italie, que je vous écris dans l’espoir qu’une courte conversation à cœur ouvert avec lord Palmerston remédiera au mal actuel….. Mais, objectera-t-on, vous voulez la paix, et vous augmentez démesurément les forces de la France. Je nie le fait de tous points. Mon armée et ma flotte n’ont rien de menaçant pour personne. Ma marine à vapeur est loin de pourvoir à nos besoins, et le chiffre des navires à vapeur n’égale pas, à beaucoup près, le nombre des bâtimens à voiles jugés nécessaires au temps du roi Louis-Philippe. J’ai 400,000 hommes sous les armes ; mais ôtez de ce nombre 60,000 hommes en Algérie, 6,000 hommes à Rome, 8,000 en Chine, 20,000 gendarmes, les malades, les conscrits, et vous avouerez, ce qui est vrai, que mes régimens ont un effectif plus réduit que sous le règne précédent….. »