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nous songeons à ce qu’il a été consacré de profonds desseins et d’actions héroïques à la défense ou au succès de cet intérêt de la communauté européenne, quand nous nous rappelons que c’est pour cette cause qu’ont travaillé et combattu le vaillant et pieux Gustave-Adolphe, Charles XII le fou austère, l’élégant Gustave III, les braves Danois que nous trouvions toujours à côté de nous pour défendre la liberté des mers et les droits des neutres, les Danois, à qui nos derniers désastres ont coûté la Norvège, nous l’avouons, nous ne pouvons murmurer sans mélancolie ce mot d’équilibre du Nord. C’est un écho de notre histoire qui va se perdant au loin, et où résonne encore en expirant un des sentimens les plus justes et les plus droits de notre politique nationale.

Voilà ce qui va se débattre dans les minuties de la délimitation de la question de frontière. Dans cette controverse, l’Angleterre représente l’utilité, l’Allemagne la nationalité, la Russie la légitimité notariée, la France la philosophie. Tout cela fait bien des complications. Sans s’inquiéter de théories, l’Angleterre propose de mettre fin à un mariage orageux par un divorce raisonné. Que ce qui est danois dans les duchés aille au Danemark, que ce qui est allemand retourne à l’Allemagne ; seulement, comme il faut une bonne frontière au Danemark, qui est le plus faible, et que cette bonne frontière enclave encore quelques Allemands, il faut que l’Allemagne fasse le sacrifice d’une petite fraction germanique. Les puissances allemandes couvrent leur ambition de symétrie logique : elles partent de la théorie du slesvig-holsteinisme, qui considère les deux duchés comme un tout indissoluble ; qu’on leur accorde cette base, le reste n’est plus qu’une affaire de considérations pratiques. Au point de vue pratique, pour se rapprocher de la proposition anglaise, elles emploient un procédé méthodique. Parmi les provinces qu’on enlève au Danemark, il y a le petit duché de Lauenbourg. Les droits héréditaires du roi Christian sur le Danemark sont incontestables ; en consentant à la cession du Lauenbourg, le roi a droit à un équivalent. Cet équivalent, il est juste de le lui donner dans le nord du Slesvig. C’est de cette façon que les Allemands parviennent à trouver discutable la proposition britannique. Seulement ils veulent céder le morceau le moins gros possible du Slesvig ; ils demandent la ligne d’Apenrade. Ce n’est pas leur dernier mot. Il faut avoir le courage de répéter des expressions géographiques qui ne rappellent aux lecteurs français que le nom du protecteur de Candide : de la ligne d’Apenrade, les Allemands se rabattent sur la ligne de Tondern à Flensbourg ; des gens bien informés disent même qu’ils ne tiennent point à Tondern et qu’ils accepteront la ligne de Bredstedt à Flensbourg ; au pis aller encore, ils laisseraient Flensbourg aux Danois. On voit que si les puissances neutres et le Danemark veulent entrer dans ce marchandage, on aura du champ pour se démener. La Russie ne se laisse point étourdir de tout ce bruit. M. de Brunnow a défendu le traité de 1852 avec chaleur, comme un père défend son enfant. Cet acte répudié, il a tiré avec