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la critique des textes, l’interprétation des monumens, et surtout les recherches archéologiques, qui en ce moment sont à la mode. Ce qui semblerait assez prouver que ces sortes d’études sont la véritable vocation de notre siècle, c’est qu’il est là plus original, plus véritablement inventif que dans tout le reste. Certes nous avons eu de grands poètes et d’illustres orateurs; je crois pourtant que, si les lettres voulaient opposer quelque chose aux admirables découvertes que les sciences ont faites de nos jours, elles seraient bien obligées d’avoir recours aux travaux de Champollion sur l’Egypte et à ceux d’Eugène Burnouf sur les anciennes langues de l’Orient. De cette façon elles soutiendraient la lutte sans trop de désavantage, car il n’est guère plus beau d’être parvenu à décomposer la lumière et à trouver par ce moyen de nouveaux corps simples que de nous avoir révélé toute une grande civilisation ignorée. Quelque admiration que l’on éprouve pour Cuvier quand il reconstruit les créations primitives de la terre, on peut, je crois, sans faire tort à sa gloire, placer auprès de lui le savant qui, en nous donnant la clé de ces vieilles langues perdues, et en nous faisant connaître du même coup les peuples qui les parlaient, a reculé de plusieurs siècles les souvenirs de l’humanité.

Longtemps ces études se sont poursuivies au milieu de l’indifférence générale. Les lettrés de profession affectaient de les dédaigner, et le monde se vengeait de les ignorer en s’en moquant. Il n’en est plus tout à fait de même aujourd’hui, et nous avons assisté à un revirement fort inattendu. Après avoir longtemps vécu à l’ombre des écoles et des académies, elles se sont tout à coup imposées avec éclat à l’attention publique. L’archéologie s’est mêlée aux discussions politiques, et elle est en possession aujourd’hui de fournir des armes aux partis qui se combattent. La philologie a fait plus de bruit encore, car elle s’est trouvée engagée dans les querelles religieuses. Tant que Wolf et son école se contentaient de discuter l’authenticité des ouvrages de Platon ou de Cicéron, on ne s’en inquiétait guère dans le monde; tant que Creuzer et ses disciples ne se sont occupés que des mythologies profanes, les savans seuls admiraient cette sagacité merveilleuse qui retrouvait le sens des vieilles croyances et rendait la vie à des religions éteintes. Mais le jour où ces érudits audacieux, exercés à la critique des textes grecs et latins, se sont mis à étudier les livres sacrés, et où ils ont élevé des doutes effrayans sur l’authenticité de ces livres et créé des systèmes hardis sur les diverses époques de leur rédaction, quand, de leur côté, les mythologues, appliquant au christianisme des méthodes éprouvées ailleurs, ont prétendu traiter ses légendes comme celles de la Grèce et de l’Inde et les expliquer de la même façon,