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qu’elle paie aussi pour eux. On se rachetait donc tout seul, et encore ne se rachetait-on que très imparfaitement. La liberté, quoiqu’on la payât cher, était rarement complète, et l’on n’arrivait guère à se reconquérir tout entier d’un seul coup. Rien ne prouve avec autant d’évidence combien le maître regarde l’esclave comme sa chose, combien il a le droit absolu de disposer de lui selon ses caprices, que ces restrictions sans nombre qu’il apporte comme il lui plaît à la liberté qu’il lui vend. D’ordinaire il stipule qu’il ne sera entièrement libre qu’après avoir continué de le servir un certain nombre d’années qui sont rigoureusement fixées, et s’il lui arrive d’être malade plus de deux mois, il doit rendre le temps de sa maladie. Souvent sa délivrance ne commence qu’à la mort du maître et de la femme du maître, et même à ce moment, après avoir cessé d’être leur esclave, il reste celui de leur tombeau, et l’on règle minutieusement le nombre des couronnes de rose et de laurier qu’il sera tenu d’y apporter toutes les semaines sous peine de perdre sa liberté. Ce n’est rien encore : le maître se réserve quelquefois d’être l’héritier de son ancien esclave et de ses enfans, prolongeant ainsi une partie de la servitude jusqu’à plusieurs générations. Il y en a même un, plus cruel que les autres, qui ordonne que les fils de l’affranchi, quoique nés dans la liberté, seront ses esclaves, et qu’ils viendront reprendre dans sa maison la place que leur père a laissée vide.

C’était donc une liberté fort restreinte, pleine de menaces et de gênes, qu’achetait l’esclave, ou plutôt ce n’était pas encore la liberté, ce n’en était que l’espérance; mais il avait au moins la certitude d’être libre un jour : une fois qu’il avait été vendu au dieu, il ne pouvait plus être vendu à personne. De plus, il est probable qu’à partir de ce moment il était traité avec plus d’égards. Nous voyons dans les inscriptions de Delphes que plusieurs fois, en vendant un esclave, on se réserve expressément le droit de le battre. Le soin qu’on prend ici de mentionner ce droit prouve qu’il avait ses limites, et qu’il fallait ménager un homme qui était devenu la propriété d’un dieu. Ce qui est plus important encore, c’est que, dans les discussions qui s’élèvent entre le maître et l’esclave au sujet de la vente et du contrat, ce n’est plus le maître qui décide seul : un tribunal d’arbitrage est institué, choisi par les deux parties, et devant lequel l’esclave plaidera sa cause; mais l’innovation la plus grave, c’est qu’au moment de la vente le maître et l’esclave doivent jurer tous les deux d’en respecter fidèlement les conditions. L’importance de ce serment, prêté devant les autels les plus respectés de la Grèce, en présence des prêtres et des magistrats, a été très bien montrée par M. Foucart. Il fait voir que l’exiger de l’esclave, c’était le relever de cet état dégradant où il comptait pour un instrument