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le Cambodge est un royaume dont l’indépendance et l’autonomie ne pouvaient être légitimement contestées, et qu’en conséquence il avait eu le droit de traiter avec cet état sans prendre conseil du gouvernement de Siam. Quant à la contrainte qu’il aurait exercée sur le roi du Cambodge, l’amiral La Grandière repoussait avec force une pareille assertion. Son caractère honorable plus encore que les circonstances dans lesquelles la négociation s’était engagée et l’intervention de Mgr l’évêque du Cambodge garantissaient la parfaite loyauté de cette convention. L’amiral avait eu soin, en signant le traité, de n’engager que lui jusqu’à la ratification du gouvernement français; mais sa conduite fut approuvée, et au mois de novembre 1863 M. le ministre de la marine lui annonçait l’envoi par son collègue le ministre des affaires étrangères de pouvoirs réguliers et d’instructions spéciales pour donner un caractère définitif à la convention conclue avec le roi du Cambodge. En même temps et pour préparer l’exécution du traité, M. de Chasseloup-Laubat prescrivit au gouverneur d’établir, suivant le système anglais, un dépôt de charbons fortifié près de Nam-van ou les Quatre-Bras, position qui domine le cours du fleuve, et où se tient le plus grand marché du Cambodge.

Ce n’était pas assez cependant de compléter ainsi par la diplomatie l’œuvre commencée par les armes; il fallait encore recueillir les avantages de notre situation nouvelle. Nous avions à notre disposition deux leviers pour établir l’édifice de notre fortune dans cette contrée devenue française, l’administration et la colonisation, tous deux également puissans et nécessaires. Examinons d’abord comment a fonctionné le premier de ces instrumens, l’administration.

C’est par l’administration que se caractérise l’action de la France. Il est dans son génie de constituer et d’organiser, de porter partout avec elle son esprit d’ordre, de contrôle et de réglementation. Elle débrouille les élémens confondus, les range chacun en son lieu, les classe selon leur nature et leur importance, et les soumet à une direction intelligente. Nulle part peut-être nous n’avons révélé cette faculté d’une manière plus éclatante et plus prompte que dans notre établissement de Cochinchine. Les officiers de notre marine, avec une souplesse qui leur fait le plus grand honneur, ont rompu avec leurs habitudes militaires pour se plier au rôle de fonctionnaires civils que les circonstances leur imposaient. Animés par l’exemple du gouverneur, ils se sont pénétrés de ses vues administratives, et chacun, selon son rang et sa position, s’est appliqué avec une énergique patience à faire bien marcher le service qui lui était confié.

La prudence conseillait les plus grands ménagemens. Brusquer les changemens, fût-ce même pour le bien-être des habitans, c’était