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Chine jusqu’à ce jour inexplorée par les Européens. La position géographique de la France, les habitudes sédentaires de ses habitans, ne lui permettent pas de se fier à ses seules ressources pour atteindre ce résultat. N’avons-nous point d’ailleurs les moyens de faire contre-poids à cette immigration étrangère de manière à empêcher qu’elle ne submerge dans ses flots notre nationalité? Nous les trouvons dans notre organisation administrative, qui est inconnue à la plupart des autres nations, qui est si habile à régler et à coordonner ces forces individuelles, dans les garnisons que nous serons obligés d’entretenir longtemps encore sur plusieurs points du pays, dans la présence de nos navires de guerre et l’arrivée régulière et périodique des paquebots des Messageries impériales qui viennent chaque mois réveiller en Cochinchine le souvenir de la puissance française[1].

Pour fortifier cette digue contre l’envahissement du flot étranger, il serait utile de constituer à Saïgon une compagnie de colonisation composée d’élémens français, et qui exercerait une influence prépondérante au milieu des personnes et des capitaux de toute origine auxquels nous aurions donné un libre accès. Nous avons des motifs d’une autre nature pour recommander cette institution. Notre administration, réduite à ses seules forces, est incapable de donner une vive impulsion au développement des richesses du pays : elle est obligée de restreindre son action dans les limites de ses ressources, que l’équilibre du budget force le gouvernement métropolitain de mesurer avec une rigoureuse parcimonie. Une compagnie au contraire dispose d’un fort capital qu’elle peut augmenter par son crédit suivant le besoin et l’utilité de ses opérations. Stimulée par son intérêt, elle multiplie ses efforts, recherche les dépenses productives et hâte les améliorations et les progrès de toute sorte qui sont le fondement de sa prospérité. Les exemples qui justifient les avantages d’une pareille combinaison sont nombreux. Il en est deux importans qu’il suffira de citer.

Jusqu’en 1839, la Nouvelle-Zélande, qui est devenue depuis la plus belle colonie de l’empire britannique, était occupée au nom de l’Angleterre par quelques missionnaires qui exerçaient sur les tribus une sorte de souveraineté féodale. Le Colonial office se déchargeait sur eux de la responsabilité de toute la colonisation du pays. Cet état de choses était sans avenir, lorsqu’une société puissante se forma sous l’initiative du célèbre financier sir Francis Baring. Son capital fut souscrit avec enthousiasme, et quelques mois

  1. En prévision des avantages commerciaux qui devaient résulter de notre établissement en Cochinchine, un service régulier est établi par les Messageries impériales de Suez à Saïgon, et de cette ligne principale deux lignes secondaires se détachent à Saigon, l’une pour Manille, l’autre pour Shang-haî (loi du 3 juillet 1861).