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prix d’éloquence à l’Académie française en 1759[1] : « Le plus sage des philosophes, Socrate, crut avoir un génie qui veillait auprès de lui. Ne pourrait-on pas dire que tous les grands hommes en ont un qui les guide dans la route que leur a tracée la nature, qui tourne de ce côté toutes leurs sensations, toutes leurs idées, tous leurs mouvemens, qui nourrit, échauffe, fait germer leurs talens, qui les entraîne, qui les subjugue, qui prend sur eux un ascendant invincible, qui est en un mot l’âme de leur âme ? C’est ce qu’on peut reconnaître dans Maurice. Dès le berceau, cette âme fière et intrépide sembla s’élancer vers les combats. À peine sa main put-elle soutenir le poids d’une épée, qu’il renonça à tout autre amusement qu’à l’exercice des armes. Il dédaigna d’abaisser la hauteur de son âme à l’étude de ces sciences plus curieuses qu’utiles, dont la connaissance ingrate et frivole occupe l’oisiveté de l’enfance, et, semblable à ces anciens Romains, il parut d’abord mépriser tous les arts, excepté le grand art de vaincre. » Ces sciences plus curieuses qu’utiles, ces frivoles occupations de l’oisiveté enfantine dédaignées de si haut par ce vieux Romain du XVIIIe siècle, c’était tout simplement la grammaire et les humanités, les premiers élémens de cette instruction sans laquelle l’homme le mieux doué ne sera jamais que la moitié de lui-même. Schulenbourg, qui avait aussi étudié l’art de vaincre, n’était pas précisément de l’avis exprimé ici par le panégyriste, et quand il arrivait que son élève laissât éclater non pas le mépris d’un patricien de la vieille Rome, mais l’aversion d’un mauvais écolier pour les exercices virils de l’intelligence, il intervenait aussitôt avec sa vigilante et sympathique autorité.

Schulenbourg en effet ne cessa de témoigner à Maurice l’affection la plus tendre. Il ne le considérait pas seulement comme son élève ; on eût dit un père surveillant l’éducation de son enfant. Attaché à la comtesse de Kœnigsmark par une sympathie chevaleresque, il avait promis de la remplacer auprès de son fils : ses dispositions, si favorables d’avance, devinrent presque de l’enthousiasme quand il vit le jeune enseigne déployer tant de qualités brillantes et promettre un grand capitaine. Entre la campagne de 1709 et celle qui devait commencer l’année suivante, Maurice ne retourna pas à Dresde, comme l’ont dit tous ses biographes : il resta sur le théâtre des événemens, en Flandre, à Bruxelles, où Schulenbourg voulait qu’il employât ses quartiers d’hiver à la continuation de ses études. Homme de guerre et d’aventures, Schulenbourg était un digne compagnon du prince Eugène ; il savait que la culture littéraire et

  1. Éloge de Maurice, comte de Saxe, duc. de Sémigalle et de Courlande, maréchal-général des armées de sa majesté très chrétienne, par M. Thomas, professeur en l’université de Paris au collège de Beauvais. Paris 1759, page 4.