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péennes même avant la mort de Louis XIV, avant la chute de Mme de Maintenon, et Leibnitz, qui signale en traits si énergiques, dès 1704, l’irréligion des hautes classes par toute l’Europe, y trouve l’annonce d’une révolution immense d’où sortira un ordre nouveau. Ce n’est donc pas sans une certaine surprise qu’on voit Aurore de Kœnigsmark éprouver de tels scrupules pour la religion de son fils et trembler à la pensée que les jésuites de Bruxelles pourront détruire ou affaiblir chez lui la croyance à la justification par la grâce. Où la foi va-t-elle se nicher? dirait Molière. Jésuites ou pasteurs luthériens, d’un bout du siècle à l’autre, ne feront que des élèves sceptiques; un esprit plus fort les domine tous, la révolution a commencé dans l’ombre; il faut qu’elle accomplisse son œuvre et que le christianisme, pour porter de nouveaux fruits, soit débarrassé à jamais des liens de l’ancien régime.

Maurice de Saxe n’ira pas chez les jésuites de Bruxelles; il continuera ses études jusqu’à la prochaine campagne sous la direction de son gouverneur, M. de Stötterrogen, et la haute surveillance du comte de Schulenbourg. L’inconvénient de ces éducations princières, c’est ordinairement l’absence de règles; ici, rien de semblable : une instruction très précise est envoyée à M. de Stötterrogen, et il devra s’y conformer scrupuleusement. A six heures du matin, réveil du jeune comte; une demi-heure lui est accordée pour sa toilette. A six heures et demie, la prière, puis le déjeuner, c’est-à-dire quelques tasses de thé, ensuite le travail jusqu’à une heure de l’après-midi. A une heure, repas, leçon de danse, leçon d’escrime, et dans l’après-midi encore deux heures de travail consacrées à l’arithmétique et à l’orthographe. « Pendant le travail sédentaire, disait le règlement, il y aura sur la table une horloge de sable, afin que le temps ne se passe pas en inutilités. » On fit encore dans le même programme : « Le comte ayant appris pendant cette campagne plusieurs belles sentences morales, soit latines, soit françaises, les ayant même dans plusieurs rencontres appliquées avec discernement, il les répétera tous les jours, et en augmentera le nombre au moins de trois ou quatre par semaine. » Si l’esprit général de ce règlement ne trahissait l’inspiration de Schulenbourg, on le reconnaîtrait sans peine à ces dernières lignes. Qui donc, si ce n’est lui, a pu apprendre à Maurice ces belles maximes, ces nobles sentences, en français et en latin ? Qui donc a pu le voir presque aussitôt en faire des applications si heureuses?

Maurice retourna au camp des alliés dès le commencement de la campagne de 1710; il assista au siège de Douai, de Béthune, d’Aire, et, plus libre cette fois de s’abandonner à son impétuosité naturelle, il paraît bien qu’il déploya une éclatante bravoure : prouesses d’enseigne et de sous-lieutenant, à Jeune homme, lui dit un soir le