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hommes rassemblés au lendemain d’une révolution, il y a trente-trois ans, autour d’un prêtre de violent génie, pour relever la religion catholique par la liberté, pour la dégager de toutes les solidarités absolutistes? Un de ces jeunes athlètes avait vingt-huit ans à peine, et il était déjà prêtre lui-même après avoir vécu de la vie du siècle. Inconnu la veille, il n’était pas seulement devenu du soir au lendemain un brûlant polémiste ; il allait avec ses compagnons ou avec son maître rendre témoignage de sa foi devant les tribunaux, jusque devant la cour des pairs. Au magistrat qui disait que les prêtres étaient les ministres d’un pouvoir étranger, il répondait avec impétuosité : « Nous sommes les ministres de quelqu’un qui n’est étranger nulle part, de Dieu! » Il harcelait, au nom de la liberté religieuse, un malheureux sous-préfet qui avait employé la force des armes pour ouvrir la porte d’une église à un mort impénitent, et allant résolument jusqu’au bout de ses idées, appelant dès ce temps la séparation entière de l’église et du pouvoir civil, il conseillait aux prêtres ses frères de prendre leur Dieu déshonoré et de le porter dans quelque hutte faite avec des planches de sapin pour le préserver des insultes auxquelles il était exposé dans les temples de l’état. C’était un tribun catholique aussi audacieux dans la lutte que prompt à se soumettre bientôt devant un mot venu de Rome. Franchissez maintenant quelques années. Qui de nous ne se souvient d’avoir vu un jour, vers 1844, ce jeune prêtre de 1830, transformé en moine, monter dans la chaire de Notre-Dame de Paris avec ce froc blanc du dominicain qui ne s’était pas vu en France depuis la révolution de la fin du dernier siècle ? Il faisait un visible effort pour se contenir, et il restait toujours en lui quelque chose du jeune tribun de l’Avenir. Sa tête, à demi rasée et délicatement austère, rayonnait d’intelligence, son regard avait une ardeur pénétrante et sympathique. Toute sa personne laissait voir sous le froc une distinction naturelle et comme une élégante fierté. Sa parole, hardie, imagée et vibrante, semblait courir au-dessus des abîmes et se complaire à cette gymnastique audacieuse. Ce n’était peut-être pas la simplicité sévère et sobre des anciens prédicateurs; mais cette parole d’une originale nouveauté avait le don de remuer une jeunesse étonnée de trouver tant de chaleur et de large sympathie sous la robe d’un moine. Laissez encore s’écouler quatre années : voici tout à coup, au lendemain d’une révolution nouvelle, ce froc blanc du dominicain entrant dans une assemblée souveraine par la toute-puissance du suffrage universel, après s’être montré dans les clubs. Il ne resta pas longtemps, il est vrai, sur cette scène troublée, et ce fut peut-être une habileté de celui qui le portait de s’éclipser avant les épreuves où sa conscience eût souffert. Il ne paraît un instant dans