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la terre. L’expérience, le calcul et l’observation sont dans l’homme à l’heure de son avènement tout aussi bien qu’à l’heure de sa maturité, et ces grandes facultés sont perfectibles en ce sens qu’elles ont un champ illimité de développement à parcourir. De là les progrès toujours relatifs de la science, mais toujours nécessaires, toujours possibles, toujours respectables. Long tâtonnement, monceau fourmillant de rêves engendrant le réel ! O erreurs sacrées, mères lentes, aveugles et saintes de la vérité ! Je cite, peut-on mieux dire?

« Rien de pareil dans l’art, ajoute-t-il. L’art n’est pas successif, tout l’art est ensemble. »

C’est qu’en effet l’art, c’est le résultat du sentiment et de l’imagination, et qu’en ce sens il est quelque chose d’absolu, de non perfectible par conséquent. Il n’a pas été nécessaire à l’homme de savoir la distance de la terre au soleil pour sentir et pour exprimer l’éclat du soleil. Avant d’être une planète, la lune a pu apparaître comme une déesse. Le pâtre inculte qui le premier a été vivement ému de la splendeur des étoiles a été aussi près des étoiles par l’élan de son âme que Galilée par ses calculs. L’idéal de l’art n’a pas besoin des certitudes de la science. La science peut agrandir les horizons du poète, elle n’ajoute rien à l’énergie de ses organes. Ouvrez l’espace à l’aigle, vous ne ferez pas pour cela pousser ses ailes; elles avaient poussé dans le nid, dans l’œuf. Dieu a donné des ailes à la pensée de l’homme, elle a toujours su planer au plus haut de l’idéal.

C’est une admirable loi. L’espèce est créée dans toute sa puissance et telle qu’elle doit exister à jamais. Sans cette puissance de l’art, qui est le témoignage de la virtualité humaine, la science ne serait pas progressive. Elle se serait arrêtée dès ses premiers pas. La loi religieuse voulant enchaîner l’expérience au nom de l’idéal, la loi scientifique voulant enchaîner l’idéal au nom de l’expérience, erreurs profondes, tentatives insensées!

L’homme peut conquérir la science, parce que l’art et la poésie lui ont révélé de tout temps la possibilité d’atteindre l’inaccessible, et voilà qu’aujourd’hui de grands esprits qui se croient peut-être matérialistes ou que l’on veut croire tels, Renan, Taine, etc., nous disent qu’un jour la science s’arrêtera, parce qu’elle aura absorbé l’univers dans sa lumière. Elle sera donc entrée comme l’idéal dans le domaine de l’absolu? Les deux faces de la virtualité humaine seront donc complètes?

Alors voici la question éclaircie, la querelle terminée. Comme toujours, c’était affaire de mots. Quiconque lira de bonne foi ce que je viens de lire se sentira calme et content, content de l’homme et de Dieu. Renvoyons les objections à ce magnifique livrel’Art et la