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l’autre. Notre ami est mort de vieillesse, ses flancs se sont ouverts, il s’en est allé avec sa végétation reposer à jamais au fond de la rivière. Honnête bateau, qui n’a pas voulu attendre que nous fussions sur ses planches, pour donner sa démission ! Je le regrette; me voilà comme le père Pâques, qui attend que sa maison l’ensevelisse.

Et me voilà comme lui rentré seul sous mon toit de tuiles moussues. J’écoute le silence. J’adore le silence; j’adore aussi le bruit, mais le bruit formidable, la chute d’une cataracte, le passage d’une armée, le canon. J’ai souvent rêvé d’un orchestre de cent mille instrumens, d’un chœur de cent mille voix sur le faîte d’une montagne. Paris ne m’a jamais semblé bruyant, c’est son défaut. Quant au silence, s’il manque d’ampleur et de durée, il n’est que triste et sournois. Il est recommandable à Nohant; mais d’heure en heure un passant qui chante ou siffle, un chien qui aboie à la lune, un coq qui s’éveille, interrompent sa majesté. Je n’ai jamais rencontré le silence absolu comme ici, et j’en cherche la cause sans la trouver. Pourquoi dans ce village grouillant d’enfans et d’animaux n’y a-t-il plus un souffle vivant à partir de neuf heures? Ont-ils le sommeil plus profond qu’ailleurs? Le rêve ne les visite-t-il jamais? Leurs épaisses maisons de schiste ont-elles la propriété d’absorber tous les bruits de l’intérieur? Non, c’est comme une loi naturelle qui pèse sur ce mystérieux village tapi au fond de son ravin. Je vois à travers ma vitre un chien qui passe à mi-côte. Il aperçoit ma lumière. Cette impertinence le scandalise ou l’étonné. Il s’assied et regarde immobile. Il a l’air du chien noir de Faust. Il n’aboie pas. Je frappe un peu à ma vitre pour voir s’il parlera. Il ne dit mot, et vexé se retire lentement. Bien souvent j’ai veillé ici jusqu’au jour. Jamais je n’ai entendu un chat miauler, ni un coq chanter, ni un beuglement sortir des étables avant l’aube. Jamais un passant attardé, jamais les entraves sonnantes d’un cheval au pré, jamais une chouette dans les ruines qui pendent au-dessus de nous. Il n’y a que la Gargilesse qui parle ici tout près, d’une voix claire, et la Creuse au loin, d’une voix profonde. Il y avait autrefois, tu t’en souviens, un grillon chez nous. Je crois bien qu’il était de Nohant et qu’il nous avait suivis. Je ne l’entends plus. Les grillons de l’endroit lui auront dit qu’il était indiscret et malséant de chanter la nuit.

….. Ce livre que je lis est grand; il embrasse tout, car il se répond à lui-même, et nulle objection soulevée par cette page qui ne soit victorieusement résolue à la page suivante : colère et douceur, violence et caresse de la vérité, c’est une clé qui semble ouvrir tous les mondes de l’infini. C’est la glorification ardente de l’idéal, mais c’est aussi l’embrassement plein d’entrailles avec le réel. C’est la passion de la justice avec la pitié pour le mal. Évidemment l’auteur est ici à l’apogée de sa force, de sa lumière, de sa santé intel-