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étincelle et chatoie sous ce demi-jour favorable ; les pierres fausses, les joyaux d’émail y jettent des feux trompeurs. A côté des oiseaux en cage et des perroquets criards, l’orange y baigne dans une eau qui semble limpide, les melons reposent sur un fit de glace. Il faut que tout brille et prenne l’œil, jusqu’aux viandes, bœuf ou mouton, que le boucher parsème de paillettes scintillantes, et signale ainsi à l’attention émoustillée des gourmets.

Ces dehors bariolés et dorés, cette fantasmagorie de richesses dissimulent mal des misères inouïes. Si la curiosité vous emporte au-delà d’une certaine zone, et si vous vous aventurez dans les faubourgs où la populace pauvre est reléguée, vous voyez se vautrer dans la fange, au seuil d’habitations effondrées et disjointes, des enfans absolument nus. Le mendiant que la mort est venue frapper en pleine rue y reste à l’état de cadavre jusqu’à ce que l’un de ses pareils, le traînant par les pieds, aille charitablement le jeter à la voirie. En Orient, le contraste est partout. Partout les surfaces éclatantes, la réalité misérable; sous ces costumes splendides, des corps flétris et souillés; sous cette courtoisie obséquieuse qui vous excède de ses vaines formules, des calculs à coup sûr intéressés, parfois et souvent des trames hostiles. Les riches décors d’un palais masquent les fissures qui peuvent le faire crouler à l’improviste; une philosophie sentencieuse, des maximes austères, un sérieux de commande, servent à cacher la corruption la plus effrénée. L’enfance est grave comme l’âge mûr, la jeunesse a des rides au cœur, la vieillesse n’en a pas sur le visage. Au sortir d’un de ces bains d’eau malpropre où il va se plonger chaque jour, un Persan de haute volée ne laisse jamais paraître plus de trente ans. Quelques éclaircies dans sa barbe, soigneusement lustrée, quelques blancheurs suspectes à la racine de ses cheveux, certains plis inévitables que le progrès des ans et l’abus de la vie ont dessinés au coin de ses paupières peuvent seuls laisser deviner qu’il a passé la soixantaine. En Perse, du reste, la beauté physique, assez commune chez les hommes, très rare dans l’autre sexe, est évaluée à son plus haut prix. Un Adonis anglais, M. Strachey (les indigènes l’appelaient Istargi), chanté par l’empereur Feth-Ali-Shah dans une ode encore populaire, y a laissé des souvenirs qui paraissent ne pas devoir s’effacer de sitôt. Son portrait, — en costume de cour tel qu’on le portait vers la fin du siècle dernier, — décore le Kasr-i-Kajar (le Windsor-Castle des successeurs de Darius). Il est curieux de l’y voir en culottes courtes et l’épée en verrouil, à côté de Nadir-Shah et de ses pahlavans[1].

  1. Pahlavan veut dire héros. C’est probablement de là que vient notre mot paladin. De même tàs veut dire coupe, et nous en avons fait tasse : de même tilisr en langue persane signifie charme ou sortilège, et l’expression de talisman ne nous paraît pas avoir d’autre origine. Ces étymologies et bien d’autres nous reportent au temps des croisades.