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qui m’avait traversé la tête relativement aux intentions compromettantes dont le mashir pouvait être animé quand il m’embarquait à mon insu dans une démarche si complètement absurde. — Je serais peut-être de votre avis, répliqua Dolmage, s’il s’agissait de tout autre; mais cet homme-ci connaît trop bien l’Angleterre; il l’aime et la redoute à la fois. Telle n’a donc pas été sa pensée. Il aura voulu dompter de haute lutte les préjugés populaires, et aura saisi comme une bonne fortune cette occasion de vous introduire dans la mosquée. Je vous quitte maintenant; mais sortons de la ville le plus tôt possible, c’est-à-dire lundi, puisque l’escorte n’arrivera que ce jour-là...

« Nous partîmes en effet le lundi, et je profitai, pour ne pas me montrer dans la journée du dimanche, de ce que j’avais déjà dit adieu à mes principaux hôtes. Il est assez remarquable qu’au moment où je prenais congé du mashir, comme je lui manifestais l’espoir de le retrouver avant peu, il m’arrêta court par un geste négatif. — Vous ne me reverrez plus, disait-il, je mourrai ici, selon mes désirs : j’y suis venu pour cela, et je mourrai. — Prédiction qui se réalisa de point en point, car au bout de quelques semaines ce bon vieillard fut soudainement enlevé à ses proches. Il serait au fond très possible que l’affaire de la mosquée eût abrégé ses jours. »


En arrivant au camp de Kalandarâbâd, où il fut reçu par un istikbal[1] de cinq cents chevaux, l’agent anglais trouva le prince gouverneur persuadé que l’Angleterre allait intervenir entre le sultan d’Hérat et Dost-Mohammed. Ainsi l’annonçait le chargé d’affaires persan à Constantinople d’après un télégramme expédié par Mirza-Husain-Khan, lequel était alors à Londres en rapports directs avec lord John Russell. Le secrétaire de légation n’avait aucun motif de croire d’emblée à cette bonne nouvelle, mais il n’en avait aucun de la contredire expressément. Une rapide inspection lui suffit pour constater que Murâd-Mirza, disposant à peine de dix-huit mille hommes, sur lesquels quatorze mille seulement se trouvaient à Kalandarâbâd, ne pouvait se mesurer avec l’émir du Caboul, dont les troupes étaient deux fois plus nombreuses[2]. A sa troisième entrevue avec le prince, qui d’abord s’était tenu sur la réserve, mais qui se laissait aller peu à peu à plus de confiance et d’épanchement, celui-ci prit soin de lui expliquer par quelles raisons la possession d’Hérat et de son territoire, ou du moins une étroite alliance avec le chef de ce petit pays, est une des nécessités de la politique persane. « Hérat, lui disait-il dans un entretien dont nous résumons la

  1. L’istikbàl ou peshwaz est un cortège d’honneur qui va au-devant des hôtes de distinction pour rendre plus solennel l’accueil auquel ils ont droit.
  2. Deux fois n’est pas assez dire, car Dost-Mohammed avait amené trente-deux mille hommes sous les murs d’Hérat. Il possédait en outre une nombreuse artillerie, et la petite armée persane, beaucoup moins bien partagée sous ce rapport, n’avait que deux cents artilleurs et six canons de campagne.