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du shah; mais le vrai motif qui nous en fait désirer la possession, je viens de vous le faire connaître à l’instant même. Maintenant, pour nous établir dans cette place, il est indispensable que Hérat soit à nous ou dans les mains d’un allié fidèle, car la route directe par laquelle nous pouvons communiquer avec Merv, traversant un désert complètement aride, est à peu près impraticable pour nos troupes. Il existe d’ailleurs dans les montagnes voisines d’Hérat certains défilés par lesquels depuis des siècles les Turcomans sont venus piller sur notre territoire les districts de Tabbas, Kain, Turbat et tout le sud du Khorassan. Lorsque nous possédons Hérat, ou lorsque ce pays est entre des mains amies, nos garnisons-frontières sont prévenues de l’approche des maraudeurs, et les habitans des villages qu’elles sont appelées à protéger viennent s’y réfugier avec leurs troupeaux. Vous expliquez-vous maintenant cette tendance de la Perse à devenir maîtresse d’Hérat, ou du moins à lui donner un maître choisi par elle? Quant à moi, chargé de défendre une province qui devrait être le plus beau joyau de la couronne portée par mon neveu, je ne comprends rien à la conduite de l’Angleterre. Elle se targue d’être notre alliée et résiste obstinément aux mesures que la sûreté de nos frontières nous fait regarder comme indispensables. Elle se proclame l’ennemie de l’esclavage, elle a dépensé des sommes énormes pour y soustraire des races africaines auxquelles un simple lien d’humanité la rattache ; il m’est donc permis de trouver inexplicable qu’elle n’ait jamais rien fait pour ces pauvres Persans que les Turcomans emmènent captifs, et de la liberté desquels ils trafiquent sans remords. Que dis-je, rien fait? elle gêne, elle paralyse tous les efforts de notre gouvernement quand il travaille à protéger ses propres sujets, et en nous expulsant d’Hérat, en faisant son possible pour empêcher une alliance intime entre nos deux pays, elle met obstacle à la pacification du Khorassan. »

Ce langage était-il rigoureusement sincère et devons-nous regarder comme irréfragables les raisonnemens par lesquels Murâd-Mirza justifiait la politique de son pays? Bien que l’agent anglais les admette presque sans réserve, ce qui permet de les regarder comme assez plausibles, nous éviterons de-nous prononcer à cet égard. La Russie, pour justifier ses entreprises sur la Géorgie et sur les plus belles portions des provinces arméniennes, se plaignait aussi, du temps de Catherine, que sa frontière fût constamment violée, que ses sujets fussent emmenés hors du pays et réduits à la plus dure captivité. Si les khans de Khiva et de Bockhara étaient appelés à justifier les incursions des tribus turcomanes sur le territoire persan, ils ne manqueraient certainement pas de griefs qui leur permettraient de faire envisager ces incursions comme les représailles les plus légitimes. Bien habile qui se démêlerait dans le conflit de