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verte ? Me promenant un jour dans le cimetière de Hythe, je lus sur une tombe l’inscription suivante : « A la mémoire de Lionel Lukin, le premier qui ait construit un life-boat; il fut l’inventeur de ce principe de sauvetage par lequel tant de personnes ont échappé sur mer à une mort certaine; il reçut du roi un brevet d’invention en 1785. » Ce ne serait point la première fois qu’une épitaphe aurait menti, et je dois dire qu’en dépit de cette assertion si positive les titres de Lionel Lukin à la découverte des life-boats ne sont point du tout à l’abri de la discussion. Lukin était un carrossier de Londres qui mourut en 1834. Il avait bien trouvé le plan et fourni le modèle d’un canot avec des chambres à air; mais ce canot lui-même fut-il jamais soumis à l’épreuve de la tempête? C’est une question à laquelle il est difficile de répondre. On attribue avec plus de raison cette découverte à M. Greathead, constructeur de bateaux à Shields. Au mois de septembre 1789, un vaisseau de Newcastle, appelé l’Aventure, avait fait naufrage à l’embouchure de la rivière Tyne. Toute une multitude était accourue sur le rivage et vit le vaisseau sombrer sans que personne fût à même de lui porter secours. Cet événement donna lieu à une souscription dont le produit devait être dévolu à celui qui inventerait un canot de sauvetage capable de braver les mers les plus furieuses. Deux concurrens seulement se présentèrent, Wouldhave et Greathead : le comité décerna le prix à ce dernier, qui fut d’ailleurs largement récompensé, comme le sont en Angleterre tous les auteurs de découvertes utiles[1]. Le canot de Greathead rendit des services et subit peu de modifications jusqu’en 1849. Au mois de décembre de cette année-là, un navire ayant échoué contre la barre de Tynemouth, vingt-quatre braves marins se jetèrent en toute hâte dans le life-boat pour venir en aide aux naufragés. Dans ses nobles efforts contre les houles courroucées, le bateau chavira, et vingt hommes de l’équipage périrent. La consternation fut grande; mais de telles calamités ont cela de consolant qu’elles fécondent le germe de nouveaux progrès. Le duc de Northumberland proposa un prix de 100 guinées à celui qui inventerait un bateau de sauvetage ayant, entre autres qualités indispensables, la puissance de se redresser de lui-même dans le cas où il viendrait à chavirer. Pour répondre à cet appel généreux, deux cent quatre-vingts plans et modèles furent

  1. La Société des Arts lui décerna une médaille d’or. Trinity house, sorte de succursale de l’amirauté, lui donna 100 livres sterling, Lloyds, vaste compagnie maritime, 100 livres sterling, et le parlement 1,200 livres sterling. J’ai vu un modèle du bateau Greathead à l’institution nationale des life-boats. Il diffère des canots dont on se sert aujourd’hui par plusieurs traits extérieurs, mais surtout par sa forme plate et par sa quille recourbée.