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inégales comme la fée des roches dans les légendes du pays. Bien différente est l’apparence de l’ardoise sur la côte nord de la Cornouaille. D’un gris noirâtre, semblable à l’écorce rugueuse d’un arbre centenaire, elle se montre bien souvent pénétrée par des coulées de granit qu’on prendrait pour des ruisseaux de métal échappés à travers un monceau de laves. L’ardoise, cette matière fragile qui s’effeuille sous la main, oppose à la mer des masses dont la solidité frappe en quelque sorte de stupeur; elle forme sur la ceinture des terres de sombres promontoires, des vallées de roches, des écueils, tout un champ de ruines. Comment des mers qui se heurtent à de pareils obstacles ne seraient-elles point signalées par des naufrages? La légende rapporte qu’un lord de Botreaux, seigneur de Boscastle, voulut un jour faire présent d’une joyeuse sonnerie de cloches à la tour solitaire de l’église de Forrabury. Les cloches furent fondues à Londres et envoyées par mer sur ces dangereuses côtes de la Cornouaille. Le capitaine du vaisseau était un habile marin qui avait seulement le tort, dit la chronique, de mettre sa confiance en lui-même et dans un bon vent, au lieu de se reposer sur la Providence. Le navire était en vue des terres ; il avait devant lui le morne promontoire de Willapark et les noirs précipices de Black-Pit, dont le sommet était couronné par une multitude curieuse de saluer l’arrivée de la précieuse cargaison. Tout à coup de larges couches de nuages assombrirent le ciel; le vent s’éleva avec une sorte de rage, et le navire, ballotté entre les écueils, succomba renversé par les avalanches d’eau. Depuis cet événement, le clocher de l’église est resté triste et silencieux; mais à la veille d’une tempête, — et les tempêtes ne sont point rares dans l’anse de Boscastle, — beaucoup de marins déclarent avoir entendu distinctement sonner les cloches du seigneur de Boscastle au fond de la mer.

Des stations de life-boat ont été établies sur ces côtes sinistres, à Bude-Haven, à Padstow, à New-Quay et à Saint-Yves. De tels endroits, redoutés du marin, sont naturellement chers au paysagiste à cause du caractère grandiose des points de vue. Bude par exemple, un humble village composé d’un groupe de cottages, mais qui aspire, depuis quelques années, à devenir une ville de bains, s’élève près d’une baie romantique, célèbre surtout pour l’opposition des sables et des rochers. Ces sables, fins et dorés, composés en grande partie de fragmens de coquilles pulvérisées, ont été chassés et amoncelés vers la côte par les vents orageux du sud-ouest. Les rochers appartiennent à la formation carbonifère, et courent à angles droits vers le rivage avec des contorsions de titans foudroyés. De sévères promontoires, Compass-Point et Beacon-Hill, étendent de larges ombres sur les flots sévères de l’Atlantique. Par