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Les Corses sont peu expansifs. Repliés sur eux-mêmes, peu confians dans l’empire de la justice, ils vivent les uns vis-à-vis des autres dans un état continuel de contrainte qui empêche toute manifestation spontanée. C’est sans doute à ce caractère soupçonneux et inquiet qu’il faut attribuer leur peu de goût pour les arts. Tandis que l’Italie a produit, ainsi que le fait justement remarquer M. Blanqui, les chefs-d’œuvre de la poésie et de l’éloquence, les merveilles de la peinture, de la sculpture, de l’architecture, de la musique, la Corse n’a pas donné le jour à un seul poète connu, à un seul peintre, à un seul musicien. Et cependant la langue qu’on y parle est celle de Dante, le soleil qui l’éclairé est celui de Raphaël et de Michel-Ange. Ses grands hommes à elle, les seuls qui vivent dans la mémoire du peuple, sont les Sampiero, les Gaffori, les Paoli, qui, pour une cause ou pour une autre, l’ont arrosée de sang et ravagée du nord au midi. Je ne parle pas de Napoléon, qui a quitté son pays dès l’enfance, et dont l’histoire en est absolument indépendante.

Maintenant que l’on connaît dans ses traits principaux la situation morale de la Corse, il sera facile d’en saisir la situation matérielle. Presque tous les villages sont perchés sur les hauteurs. Les maisons en pierres sèches, à peine cimentées entre elles, n’ont le plus souvent qu’un simple rez-de-chaussée et parfois même qu’une seule pièce, dans laquelle, sur la terre nue, grouillent pêle-mêle hommes, femmes, enfans et pourceaux. Quand on pénètre dans ces intérieurs, une fumée épaisse, qui n’a d’autre issue que la porte et des trous sans vitres servant de fenêtres, vous prend à la gorge, et, jointe aux odeurs nauséabondes d’une cuisine équivoque, achève de vous soulever le cœur. Éparpillées sans ordre autour d’une église délabrée, ces tristes masures sont entourées d’immondices que personne ne se donne la peine d’enlever, et qui font de quelques villages corses de véritables cloaques. C’est là que, réunis par groupes, couchés au soleil, parfois sans parler pendant des heures entières, les hommes passent la vie à fumer leur pipe ou à méditer quelque nouvelle intrigue contre leurs ennemis. Avec leur longue barbe, leur veste brune en drap non tondu, leur bonnet de coton rouge, ils ont un aspect étrange et peu rassurant. Il leur en coûterait bien peu de nettoyer leurs maisons et leurs rues; mais l’ha-