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Saxe, allait devenir au contraire l’écueil de sa fortune? Est-ce pour cela que nous la verrons impitoyable dans ses rapports avec Johanna-Victoria, elle qui s’est montrée toute sa vie si indulgente et si bonne? Est-ce pour cela qu’elle poussera la haine jusqu’à désirer, bien plus, jusqu’à favoriser l’avilissement de la jeune femme, décidée qu’elle est à la perdre pour sauver Maurice? Nos documens des archives de Dresde nous font deviner cette situation plutôt qu’ils ne l’établissent avec netteté; mais de quelque manière qu’on explique ces fureurs, ces dénonciations, ces intrigues meurtrières, au travers desquelles la vérité a tant de peine à se faire jour, il faut reconnaître qu’il y a là une tragédie épouvantable.

Un des biographes d’Aurore de Kœnigsmark, l’Allemand Cramer, et le savant directeur des archives de Dresde, M. de Weber, affirment tous deux que la comtesse de Saxe, pendant son séjour à l’abbaye de Quedlinbourg, sous les yeux mêmes de sa belle-mère, avait déjà commencé à mener une vie de débauches. Suivant l’exemple de son mari, elle prenait ses amans tour à tour, ou plutôt à la fois, en bas comme en haut. Pourquoi la comtesse de Kœnigsmark, si vigilante plus tard, se montra-t-elle en ce moment si indifférente aux aventures de Johanna-Victoria? pourquoi attend-elle une année entière avant de se plaindre? pourquoi, se décidant enfin à intervenir, s’adresse-t-elle au roi par une dénonciation secrète, et non directement à la jeune femme? Les questions se succèdent sans réponse. À ces incertitudes d’un procès mal instruit ajoutez des aventures scandaleuses où le faux et le vrai sont mêlés d’une façon inextricable. Parmi les personnes qui composaient la maison de la comtesse de Kœnigsmark, se trouvait une jeune femme élégante et jolie. Mme Rosenacker. Elle suivit sa maîtresse à Dresde en 1720, quand celle-ci, sur l’ordre du roi, vint y tenter, en apparence du moins, la réconciliation des deux époux, et ne fit que les séparer davantage. La comtesse de Saxe, qui recevait sa belle-mère avec une attitude si résolument hostile, adressait au contraire mille avances à la Rosenacker, et finit par contracter avec elle une étroite intimité. Elle lui dit un jour très confidentiellement : « Savez-vous qu’un grand prince vous a remarquée? Il vous aime et m’a ordonné de vous amener à lui, à la promenade. » Ce grand prince, elle le donna clairement à entendre, c’était le roi. Assez troublée de cette nouvelle, la Rosenacker demande conseil à sa maîtresse, qui lui répond sans hésiter : « Il faut faire plaisir à ce grand prince sans se mettre en peine du reste. » On voit que les deux femmes se valaient; le conseil donné par la comtesse de Kœnigsmark est digne de la mission remplie par la comtesse de Saxe. Au reste, l’aventure n’eut pas de suites : le roi ne parut pas au rendez-vous de la pro-