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années: mais les acquéreurs ne doivent alors les exploiter que successivement et en fournissant au commencement de chaque année des traites au trésor pour le montant de la coupe correspondante. Dans la forêt de Valdoniello, l’une des plus importantes, puisqu’elle n’a pas moins de 4,600 hectares, on a adjugé en 1861 à un entrepreneur de Bordeaux, moyennant une somme de 100,000 francs, 20,000 pieds de plus laricios à exploiter dans un laps de temps de dix années, avec faculté de gemmer à mort ces 20,000 arbres, et d’en gemmer à vie 40,000 autres qui seront exploités plus tard.

Le gemmage a, comme on sait, pour objet l’extraction de la résine des plus au moyen d’incisions plus ou moins profondes, suivant que l’arbre doit être prochainement abattu ou qu’il doit continuer à végéter encore. La résine brute ainsi récoltée donne par la distillation de l’essence de térébenthine, et laisse comme résidu le brai ou goudron, qui a lui-même une certaine valeur. Introduit en Corse depuis peu d’années seulement, le gemmage n’y est pas encore pratiqué sur une bien grande échelle, car on n’en évalue pas la production totale à plus de 300,000 kilogrammes de résine. Si cette industrie n’a pas pris jusqu’ici plus de développement, il faut l’attribuer au manque d’ouvriers et au prix élevé du bois de feu employé pour la distillation. Quoique ce bois n’ait aucune valeur en forêt, la difficulté du transport est telle qu’il revient à 3 francs le stère, rendu par exemple à la distillerie de Vivario, qui n’est elle-même qu’à 2 kilomètres de la forêt de Vizzavone. Indépendamment de la concession de Valdoniello, dont je viens de parler, il y a eu trois autres adjudications de gemmage portant sur 55,000 arbres environ et ayant rapporté au trésor une somme de 57,845 francs; mais jusqu’ici les opérations sont à peine commencées.

On ne peut donc que se féliciter des résultats obtenus au point de vue forestier et financier par l’ouverture des routes récemment construites, et tout fait espérer qu’on ne s’en tiendra pas là; mais jusqu’à présent la situation matérielle des habitans en a été encore peu affectée. Bien que les exploitations de forêts aient nécessité l’emploi d’une main-d’œuvre considérable, ils s’en sont tenus à l’écart, et ont abandonné aux Lucquois le salaire élevé[1] qu’ils y auraient trouvé. Ils n’ont conservé pour eux que les charrois, qui leur procurent déjà d’assez beaux bénéfices. La plupart des entrepreneurs sont également Corses. Quelques-uns ont réussi, d’autres se sont ruinés pour avoir voulu aller trop vite, et faute de s’être rendu compte des conditions économiques au milieu desquelles ils se trou-

  1. La journée du Lucquois vaut actuellement 2 fr. 50 c, plus la nourriture, qui ne consiste d’ailleurs qu’en châtaignes séchées.