Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/384

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gleterre sans doute n’y eût pas, comme la France, dépensé improductivement des sommes considérables ; mais elle y eût envoyé d’intrépides colons qui, s’ils n’avaient pu plier les indigènes au travail, les auraient peu à peu refoulés, auraient acquis toutes les terres propres à la culture, et régneraient en maîtres sur leur conquête. Au lieu des tristes maquis, des torrens impétueux, des rochers stériles, des troupeaux de moutons affamés que présente la Corse d’aujourd’hui, on y verrait sans doute de plantureuses prairies, bien irriguées, couvertes de vaches et de chevaux paissant en liberté, des fermes bien tenues, éparpillées dans la campagne et réunies entre elles par des chemins carrossables, des ruisseaux canalisés flottant les bois et mettant en mouvement des usines et des moulins, des plantations de mûriers alimentant des magnaneries importantes, des jardins de citronniers et d’orangers pourvoyant de leurs fruits d’or le continent tout entier. Voilà sans doute ce qu’eût produit en Corse la domination anglaise ; mais les habitans, s’ils n’avaient pas voulu vaincre leur paresse, n’en eussent pas plus profité que les peaux-rouges n’ont profité de la richesse matérielle des États-Unis. Il n’y a en effet que deux moyens de civiliser un pays : en chasser brutalement les indigènes ou les aider à se développer et à se perfectionner eux-mêmes. Les Corses ne veulent sans doute pas du premier ; il faut donc qu’ils consentent à se plier au second. S’ils ont assez d’énergie pour secouer leurs vieilles habitudes, ils n’ont besoin, pour s’enrichir et transformer leur île, que de routes et de sécurité intérieure. Ouvrir des routes pour faciliter la circulation des produits, assurer l’exécution rigoureuse de la loi qui garantit la propriété contre toute atteinte, c’est tout ce que l’état doit faire ici et tout ce qu’on peut raisonnablement lui demander.


J. CLAVE.