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chiennes livrés au machiavélisme de la politique viennoise ou au fanatisme musulman. Dans ces conditions, la Serbie est le point de mire, le kiblé, comme disent les Arabes, de ces populations, qui, en proie à des malaises divers, aspirent à échapper à leurs dominateurs actuels. C’est chez elle que se réfugient, comme dans un lieu d’asile, les raîas opprimés de la vieille Serbie et de la Bosnie, les révoltés de l’Herzégovine, les Albanais persécutés, les Bulgares nécessiteux. Les Serbes d’Autriche, ballottés sans cesse entre Vienne et Pesth, se tournent vers Belgrade, et regardent le prince Michel comme le chef et le protecteur naturel de leur race. L’été dernier, la plupart des routes du nord-est de la Serbie étaient encombrées de piétons, hommes, femmes, enfans, qu’à leur costume, à leur attirail on reconnaissait aisément pour des émigrans. C’étaient des Serbes du Banat que la disette, amenée par la sécheresse, forçait à s’expatrier, et qui venaient demander du pain et un refuge à leurs frères transdanubiens[1].

Le Monténégro seul, par ses prétentions à l’hégémonie, pourrait retarder l’union de la race serbe; mais comment le chef de ce pays, emprisonné dans ses montagnes, livré à tant d’agitations intérieures, pourrait-il assumer un rôle que Miloch, maître absolu dans ses états, appelé par ses voisins, redouté des Turcs, avait jugé au-dessus de ses forces? Les temps, il est vrai, sont changés. Ce qui semblait alors impraticable peut être aujourd’hui tenté; mais la condition essentielle du succès, c’est que ces petites unités s’absorberont dans les grandes, que le Monténégro sera annexé à la Serbie et non la Serbie au Monténégro. Par le Monténégro, accru des bouches du Cattaro, territoire entièrement serbe, la Serbie touchera dès lors à l’Adriatique, et, communiquant librement avec l’Europe, sera sûre de son développement commercial et politique, car la mer, les ports, sont l’appareil respiratoire des nations : privées de ce débouché nécessaire, elles peuvent bien défendre leur liberté à l’abri des rochers et des montagnes, elles ne peuvent ni s’étendre ni prospérer; elles ne font que durer en demeurant stationnaires.

Comment donc se réalisera l’union serbo-monténégrine? C’est une question qu’il ne faut qu’indiquer, et il serait téméraire d’essayer d’y répondre. Le prince Michel n’a malheureusement pas d’enfans; on parle d’une adoption qui placerait après lui sur le trône de Serbie un prince de la famille de Niégoch. Ce qui est certain, c’est que l’adoption est bien dans les mœurs slaves, témoins les Obrénovitch eux-mêmes : cet Obren, dont la dynastie régnante a emprunté

  1. On évalue de 15 à 18,000 individus le nombre des Serbes autrichiens qui ont émigré dans la principauté pendant le cours de l’année 1863.