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commettra inévitablement des erreurs, on rencontrera des mécomptes, et c’est alors que viendra la crise, si, comme c’est l’habitude, la manie du moment doit finir par là. C’est sur cette perspective que les esprits sages en Angleterre doivent fixer leur attention. Pour la conjurer, il faudrait dès à présent introduire une certaine prudence au milieu des imprudences qui ont pu être commises et faire de l’ordre avec ce désordre. C’est à cet intérêt que la Banque d’Angleterre semble veiller en essayant d’avertir et de gouverner par la hausse de l’escompte la spéculation qui déborde autour d’elle.

Les causes de trouble économique dont le retentissement peut venir jusqu’à nous doivent donc être surveillées de près, et c’est parce qu’il y aurait une grande imprudence à vouloir les oublier que l’on recommande au gouvernement de modérer ses dépenses dans la mesure où il en est maître et de ne pas se trop fier à ses prévisions de ressources, qui peuvent être dérangées par des incidens extérieurs. Nous n’aimons point les tristes prédictions ; mais croit-on par exemple que la guerre des États-Unis, qui semble toucher à une crise décisive, ait dit son dernier mot en matière de perturbations économiques dont l’Europe devra sentir l’effet ? Le ministre des finances de M. Lincoln n’a pas pu empêcher la dépréciation de son papier-monnaie, de ses green backs, et cette dépréciation est aujourd’hui de 80 pour 100. Comme, pour subvenir aux frais de guerre, M. Chase est obligé de continuer ses gigantesques emprunts, il se trouve aujourd’hui dans une situation qui n’est plus guère tenable. Payé en effet des titres qu’il émet en green backs dépréciés, il emprunte nominalement à 5 pour 100, mais en réalité à 9. Est-il probable qu’il puisse longtemps encore remplir ses engagemens envers les porteurs des obligations fédérales, et leur payer en or les arrérages ? L’état de New-York, l’imperial state, après avoir protesté tout récemment qu’il paierait toujours en or les intérêts de sa dette, vient de violer sa promesse et de décider qu’il ne paierait plus qu’en papier. N’est-il pas à craindre que M. Chase soit bientôt forcé de suivre l’exemple de l’état de New-York ? La cessation des paiemens en espèces des intérêts de la dette fédérale aurait inévitablement des conséquences commerciales très graves, et se ferait aussi sentir immédiatement dans quelques parties de l’Europe, en Allemagne surtout, où il s’est placé une grande quantité de titres de la dette américaine. De tous côtés donc, on est invité, dans la gestion des intérêts économiques, à la plus sobre circonspection : c’est, ce nous semble, le vif sentiment de cette prudence nécessaire qu’il fallait voir dans les conseils donnés par M. Thiers et par M. Berryer, et non de vaines gronderies d’opposition. Nous le savons, quand on reçoit des avis de ce genre d’hommes politiques que l’on considère comme des adversaires, l’habitude n’est point de les accueillir par un assentiment public : il faut tenir compte des nécessités d’un rôle officiel ; mais nous sommes convaincus que les hommes éclairés du gouvernement