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et d’autres moins connus. Charles-Marie de Weber était à Darmstadt lorsqu’y arriva Meyerbeer. De quelques années plus âgé que son condisciple, Weber conçut pour ce jeune néophyte une amitié qui fut partagée et qui dura jusqu’à la mort de l’immortel auteur du Freyschütz. Ils se comprirent, ils s’aimèrent, et l’union fut d’autant plus resserrée que Weber avait une organisation bien différente de celle que révéla l’auteur de Robert-le-Diable et des Huguenots. C’est une combinaison assez heureuse de la destinée que d’avoir rapproché, au début de la vie, le créateur de l’opéra allemand et le maître qui devait donner à la France le drame lyrique des temps modernes.

Après deux ans d’études sérieuses, l’abbé Vogler leva le siège, comme on dit, et ferma son école. Il se proposait de visiter avec ses élèves les principales villes de l’Allemagne. Meyerbeer, qui avait alors dix-sept ans, fut nommé compositeur de la petite cour de Darmstadt. Cet honneur lui fut accordé pour un oratorio. Dieu et la Nature, qu’il avait écrit à la demande du prince ; il écrivit aussi un opéra en trois actes, la Fille de Jephté, qui, malgré quelques morceaux bien venus, n’eut aucun succès. Meyerbeer se rendit ensuite à Vienne, où il y avait un grand nombre de pianistes, parmi lesquels se trouvait Hummel, que le jeune compositeur n’avait jamais entendu. Le soir même de son arrivée à Vienne, Meyerbeer eut l’occasion de voir le grand artiste et de l’entendre jouer pendant toute une soirée. Émerveillé du charme et de l’élégance du jeu de Hummel, Meyerbeer comprit que son exécution était supérieure à tout ce qu’il connaissait. « Ne voulant pas être vaincu, dit M. Fétis, il prit la résolution de ne pas se produire en public jusqu’à ce qu’il eût acquis les qualités que possédaient ses rivaux. Pour atteindre le but qu’il se proposait, il s’enferma pendant six mois, se livrant à de continuelles études sur l’art de lier harmoniquement les sons, et faisant subir à son doigté les modifications nécessaires à cet objet. Après ces efforts, dont une conscience d’artiste était seule capable, Meyerbeer débuta dans le monde et produisit une impression si vive que le souvenir ne s’en est pas encore effacé. Moscheles, qui l’entendit, m’a dit souvent que si Meyerbeer s’était alors posé comme virtuose, peu de pianistes auraient pu lutter avec lui. »

L’instinct de la musique dramatique fixa bientôt la volonté de Meyerbeer. Agé de dix-neuf ans, il composa pour le théâtre de la cour un opéra-comique en trois actes, Abimelech, ou les deux Califes. Cet ouvrage n’était point écrit dans le style de la musique italienne, qui régnait alors dans la capitale de l’Autriche ; il ne fut guère mieux accueilli que la Fille de Jephté. Salieri, qui avait de l’affection pour le jeune Prussien, lui conseilla d’aller en Italie, où il entendrait des chanteurs habiles et une musique claire et lumineuse dont il sentirait bientôt l’heureux effet. Jusqu’alors, Meyerbeer avait peu de goût pour la musique italienne ; il se décida cependant à suivre le conseil de Salieri, et il se rendit à Venise au moment où le Tancredi de Ros-