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mence à rougir la pointe de l’acier. Avant de s’endormir du grand sommeil, le barde fait entendre ce chant d’adieu : « Regarde comme resplendit le Valhalla! Comme ces guerriers bénis m’appellent!... Dans le cercle des héros, je recommencerai à chanter, là où le vieillard retrouve sa jeunesse, là où n’existe plus le temps qui retire la force des bras affaiblis de l’homme et engourdit la sève dans le cœur vigoureux des braves... Les dieux ne m’ont pas accordé le bonheur de tomber à côté de Sigurlam sur le verdoyant gazon ; mais mon chant retentira de montagne en montagne, et le géant tremblera lorsque les accens de ma voix descendront jusque dans les vallées. »

Plus touchante encore est la douleur de la veuve de Sigurlam. « Soit que je m’enfuie, dit-elle, vers les cimes élevées des monts, soit que j’erre dans les sentiers lointains de la forêt sauvage, le bruit des plus luttant contre la tempête, les cris sinistres des oiseaux de la nuit sont pour moi comme les soupirs qu’un mort ferait sourdement sortir des entrailles de la terre. Au milieu des ténèbres, je crois voir l’image de mon bien-aimé, je crois entendre le son de sa voix, je crois l’apercevoir m’appelant à lui d’un signe de la main. Je recule, et cette image me poursuit; j’avance, et elle disparaît rapidement. Ainsi je suis l’objet de déceptions continuelles. Sort cruel de rester ainsi sur cette terre avec les souvenirs! « — Odin essaie en vain de la consoler. — « J’ai vaillamment senti les morsures du glaive, lui dit-il, j’ai connu les atteintes des pointes de la lance; le temps a cicatrisé les blessures, mais aucune n’a été si profonde que celle du regret. ma fille, ne pleure pas cependant. Le bien-aimé qui t’a quittée n’a fait que changer de demeure. Maintenant il habite, glorieux, au milieu de ses ancêtres. Il comptera comme des rêves toutes les années écoulées jusqu’au moment où il embrassera la chère épouse qui reste dans l’attente... » Mais Heydé, succombant sous le poids de son chagrin, ne peut le supporter plus longtemps... Elle s’écrie : « Tu m’appelles! tu m’appelles! Mes regards t’aperçoivent dans les feux de l’aurore boréale. Ta voix qui doucement m’attire, je la reconnais dans les murmures du vent. Je la suis, cette voix bien connue, et je ne m’effraie pas du brusque passage de la vie à la mort. » — Et alors elle se précipite dans les abîmes dont les vagues s’agitent au pied du rocher, et elle va retrouver dans les profondeurs de la mer la paix et l’amour. « Un moment, on voit encore les boucles de ses cheveux surnager sur la blanche écume des flots, brillantes comme des lames d’argent. On dirait que les vagues sentent le prix de ce doux fardeau : elles semblent vouloir respectueusement embrasser la divine beauté qui se livre à elles en victime.»

Un prince tel que le roi Charles XV devait comprendre mieux que personne tout ce qu’il y a de noble et de généreux dans le caractère de son peuple. L’étude des antiquités et des poésies scandinaves n’a fait que développer en lui l’amour de la patrie, et il a sympathisé avec cette ardente jeunesse suédoise, dont la plus chère pensée est l’accord des trois peuples frères. Au