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pas, en négociant avec une dictature dont les membres se détruisaient successivement les uns les autres, à voir les conditions admises par les maîtres du jour méconnues par ceux du lendemain? Il était donc, à tous égards, plus sage de continuer la guerre que de traiter avec de pareils monstres. Et, rappelant enfin la citation historique faite par Fox, « l’honorable membre, dit-il, a profité de cette occasion pour faire une belle sortie contre les rois, assurant que nous pouvons avoir autant de confiance dans la bonne foi des gouvernans actuels de la France que nos ancêtres en ont eu dans celle de Louis XIV. Je conteste formellement cette assertion, et je dis que si ce roi avait réussi dans ses ambitieux projets, ce que nous aurions eu à souffrir alors eût pu être considéré comme une prospérité en comparaison de tous les maux que produirait le triomphe du régime révolutionnaire. La splendeur de sa cour, les talens de ses généraux, la discipline de son armée, tout ce qu’il inspirait enfin relevait toujours d’un sentiment d’honneur. Son ambition même, bien qu’extrême, était dirigée et contenue par des principes de grandeur et de loyauté. Il en est autrement de ceux professés par la convention : elle a mis de côté toute espèce de pudeur, et, avec une ambition non moins grande, elle ne craint pas d’employer des moyens de destruction mille fois plus à redouter que ne l’a jamais été le pouvoir du plus puissant monarque. »

La motion de Fox fut rejetée à une immense majorité, et le parlement, sur la proposition de Pitt, porta à 85,000 hommes les forces de l’armée navale, à 60,000 hommes celles de l’armée de terre, autorisa le gouvernement à emprunter une somme de 11 millions de livres sterling, et affecta au service de cet emprunt le produit de taxes additionnelles sur le rhum, les esprits, les briques, les toiles et glaces. Outre les forces dont nous venons de parler, le gouvernement avait pris à la solde de l’Angleterre des corps étrangers composés d’émigrés et de Hessois. Ils devaient les uns et les autres faire partie d’une expédition projetée contre la côte de Bretagne; mais, en attendant qu’elle fût définitivement organisée, ils furent placés dans l’île de Wight. Ce casernement sur le sol anglais fut dénoncé comme inconstitutionnel par Fox et par Grey. L’institution d’une armée régulière (standing army) avait toujours été vue avec une répugnance extrême, comme plaçant entre les mains du souverain une force prête à l’aider dans les entreprises qu’il serait tenté de faire contre les libertés publiques. A plus forte raison cette défiance devait-elle exister vis-à-vis de troupes mercenaires que n’auraient pu retenir ni le sentiment du patriotisme ni le respect des lois. Aussi depuis 1688 nul corps étranger n’avait été introduit dans le royaume sans l’autorisation du parlement, très jaloux de son droit