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Rappelant alors les événemens de vendémiaire et de fructidor, la part qu’il y avait prise, ses proclamations et ses procédés en Italie, sa conduite envers Venise, qu’il taxa de perfide et de violente :


« Quelle confiance pouvons-nous donc avoir, ajouta Pitt, dans la sincérité de ses intentions pacifiques? Sans doute je comprends l’avantage qu’il peut avoir à engager l’Angleterre dans une négociation séparée, afin de dissoudre la confédération des puissances ennemies et de paralyser dans leurs efforts les armées russes et autrichiennes qui attendent de nous des secours; mais si son intérêt est de négocier, l’est-il aussi de conclure une paix solide et durable? Il est étranger, il est usurpateur : il réunit en lui tout ce qu’un républicain doit blâmer, tout ce qu’un royaliste doit repousser, tout ce qu’un Jacobin abhorre. Il n’a donc pas d’autre moyen que son épée pour retenir le pouvoir dont il s’est emparé, et c’est seulement par la conquête et par la gloire qu’il peut le fortifier. Serait-il sage dès lors, uniquement sur la foi de ses promesses, de réduire nos dépenses, de diminuer nos moyens de défense et de sécurité? Au bout d’un an de paix, soupirant après les trophées perdus d’Egypte, il profiterait de l’absence de nos flottes dans la Méditerranée pour tenter encore d’aller coloniser cette riche et fertile contrée, et de s’ouvrir ainsi une voie vers l’Inde, où il irait attaquer la puissance anglaise en y portant le pillage et la désolation, ou bien encore, cédant à ses sentimens de vengeance, il profiterait de quelque agitation qu’il aurait fomentée en Irlande pour essayer une descente en Angleterre, et il n’y a pas lieu d’espérer que ni le respect pour la foi des traités, ni l’amour de la paix, ni l’esprit de modération pussent l’arrêter dans l’exécution de projets si conformes à ses intérêts. D’ailleurs, si personnellement il doit inspirer aussi peu de confiance, pouvons-nous avoir la moindre foi dans la stabilité de son pouvoir succédant à tant d’autres, accepté seulement par une partie de l’armée, ayant contre lui la rivalité des autres généraux et l’opinion publique, sans l’assentiment de laquelle il n’y a de base solide pour aucun pouvoir? Sans doute, si plus tard la politique de la France diffère de ce qu’elle a été jusqu’ici, si nous reconnaissons dans son nouveau gouvernement des conditions de stabilité, nous ne refuserons pas de traiter avec lui ; mais pour le moment les garanties de sécurité manquent complètement, et, aussi désireux de la paix qu’il est possible de l’être, je cherche quelque chose qui soit plus réel que le nom : je veux une paix qui rende le repos et le bonheur à notre pays, à l’Europe entière, et il m’en faut plus que l’ombre. Cur igitur pacem nolo? Quia infida est, quia peinculosa quia esse non potest. »


Deux cent soixante-neuf voix contre soixante-trois donnèrent raison à la politique du cabinet, et peu de jours après Pitt soumit au parlement ses propositions financières pour l’année 1801. La taxe du revenu fut maintenue et le produit affecté comme l’année précédente à la garantie d’un emprunt de 20,500,000 livres que le gouvernement fut autorisé à contracter. Les ressources du trésor se trouvèrent en outre augmentées d’une somme de 3 millions de liv. sterl. dont la banque lui fit l’avance sans intérêt pour sept ans,