Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/605

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus également son fruit et donne du meilleur vin. On ne saisit pas le côté positif de l’action exercée, mais on en saisit le côté négatif, c’est-à-dire la dégradation du produit par suite de la disparition de la forêt. Le vin de Suresne, si estimé du roi Henri IV, a perdu de ses qualités depuis qu’on a abattu la forêt du Mont-Valérien, qui le protégeait au nord et à l’est. Les grands vins de Savoie, presque tous concentrés sur le versant méridional des Beauges centrales, n’ont plus ce bouquet délicieux si apprécié des dégustateurs du siècle passé, et l’on attribue généralement cette dégénérescence au déboisement des hauteurs dominantes et à la disparition progressive de la mondeuse, tuée par le provignage. Un inspecteur des forêts sous le régime sarde, M. Papà[1], attribue à la forêt de Jarrier, au-dessus de Saint-Jean-de-Maurienne, qui protège le célèbre vignoble de Princens, une action considérable sur les qualités de ce vin renommé.

Quoique le rôle de la forêt ne puisse être analysé dans toute son étendue, il est incontestable que la zone boisée se trouve en rapport intime avec celle des vignes, et que la viticulture est intéressée à une bonne administration forestière. Sous le régime sarde, des hommes d’élite avaient compris l’importance de la forêt dans l’économie générale d’une surface montueuse comme celle de la Savoie, et leurs travaux, publiés dans les mémoires de l’académie de Chambéry, méritent encore de fixer l’attention ; mais la pratique était bien au-dessous de la théorie, et l’administration était impuissante à protéger ce que la science lui démontrait si digne de protection. Le délit forestier avait atteint des proportions effrayantes. Toutes les dépenses locales extraordinaires se prélevaient sur le produit des coupes de forêts. La plupart des édifices religieux, que la Savoie possède en si grand nombre, ont été construits ou réparés aux frais de la surface boisée. La construction vicieuse des maisons dans les montagnes absorbait aussi une énorme quantité de bois. L’inspecteur déjà cité fit, en 1854, le compte des plantes de sapin entrées dans la construction d’un village du Faucigny habité par 80 familles, et il en trouva 50,000 ! On semblait, dit-il, vouloir résoudre le problème difficile de faire tenir sur quatre murs sans les écraser la plus grande quantité possible de bois. La nouvelle administration répare les maux du passé ; depuis l’annexion, la surface boisée est entrée dans la voie du repeuplement naturel et artificiel, qui aura plus tard d’heureuses conséquences sur le climat général et la production agricole de la Savoie.

  1. Considérations sur les forêts de la Savoie, par F. Papà, Chambéry 1855.