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quand il s’agit par exemple de rompre la prairie, l’homme seul intervient. Armé de la pelle carrée qu’il enfonce du pied, il lève et retourne exactement la couche par petits parallélogrammes. Ce travail est long et pénible, mais d’une perfection à laquelle n’atteignent pas les charrues les mieux construites. Au débouché des hautes vallées, la terre, devenant plus compacte, exige des instrumens moins primitifs; la charrue s’arme du contre, prend un fort avant-train de voiture et s’alourdit tellement dans certaines localités, qu’elle imprime à l’économie rurale une fausse direction en obligeant le cultivateur à surcharger la terre de bêtes de labour qui prennent la place des bêtes de rente ; enfin elle apparaît avec tous ses perfectionnemens récens sur les riches aires agricoles de l’Isère, de Chambéry, d’Yenne et d’Annecy, mais seulement dans les exploitations de quelque étendue, très rares en Savoie.

La petite culture est dominante dans toute la région des céréales. La division de la propriété y a atteint une limite qu’elle n’a pas encore rencontrée dans les anciens départemens. Les propriétaires sont plus nombreux que les familles. On compte 195,000 cotes foncières pour 114,000 familles, et la superficie cadastrée, divisée par le chiffre des cotes, ne donne que à hectares à chacune. Ces 4 hectares se composent ordinairement de parcelles jetées au hasard et dispersées, car les propriétés d’un seul bloc sont une exception. La moyenne de à hectares est prise dans les deux départemens et à tous les degrés d’altitude. En la prenant seulement dans les parties inférieures, où la propriété est moins divisée, elle s’élève à 8 hectares. Cette division est le résultat de causes particulièrement actives en Savoie : les causes physiques d’abord, un sol montueux, tourmenté, coupé d’accidens, repoussant absolument les exploitations d’une grande étendue, et les causes économiques et sociales, la tendance du capital à se porter sur la terre à défaut de l’emploi industriel et commercial, et cette disposition d’esprit, fortement accusée en Savoie, qui attache à la possession du sol la considération, l’influence et le crédit d’un homme. Tous les capitaux, toutes les épargnes, formés dans le pays ou ramenés du dehors, prennent la direction de la terre. Les émigrations annuelles ont été aussi un puissant agent de division du sol, et l’on ne saurait observer d’un peu près la vie rurale en Savoie sans être frappé de ce flux et reflux périodique qui entraîne et ramène un flot considérable d’habitans. Chaque année, la population est soulevée dans ses réservoirs trop étroits et se verse sur le dehors par toutes les issues des vallées, et chaque année elle est recueillie et ramenée au pays natal par un charme tout-puissant. Le mouvement se produit depuis un temps immémorial, probablement depuis que l’immobilité du moyen âge a