Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/625

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les longues laines dominent néanmoins dans le troupeau de la Savoie du nord, et les métis de la race mérine dans celui de la Savoie du midi. On pratique dans les vallées du Chablais et du Faucigny la double tonte sur les longues laines depuis un temps immémorial, et les populations de la Savoie ne se doutent nullement que cet usage ancien de tondre deux fois par année, au premier printemps et en automne, ait été donné par des feuilles agricoles comme une invention récente dont les éleveurs de l’Italie et du midi de la France se disputent vivement l’honneur.

On regrette que l’élève du mouton n’occupe pas une place plus grande dans l’économie rurale de la Savoie pour en expulser les troupeaux transhumans, qui sont un véritable fléau. Chaque année, les sommités du relief du pays sont envahies par des milliers de moutons venus du midi, qui déchirent le tapis des pentes supérieures et facilitent pour plus tard l’œuvre dévastatrice des érosions pluviales, des torrens et des avalanches. Ils ont déjà dénudé les parties supérieures des départemens français des Hautes et des Basses-Alpes, dont la population diminue à chaque recensement, et si le fléau n’est pas contenu dans de justes limites, on peut prévoir en Savoie le même résultat de cette invasion ovine, qui trouble l’équilibre naturel entre la population animale et les forces productives du sol. Il appartient à l’administration de fermer l’entrée du territoire en retirant son approbation aux délibérations des communes qui louent leurs pâturages aux propriétaires des troupeaux étrangers. Un autre fléau, et celui-ci est indigène, c’est la chèvre, qui ronge et détruit les végétations arborescentes. La brebis, dont la dent est plus innocente, pourrait remplacer avec avantage la chèvre sur l’exploitation rurale et accomplir sans violence ce qui a été jusqu’à ce jour impossible à la loi et aux règlemens anciens et nouveaux. Tous les gouvernemens, depuis cinquante ans, s’efforcent de limiter le nombre de ces bêtes malfaisantes, qui sont néanmoins une ressource bien précieuse pour les familles pauvres. Sous le régime sarde, on les a cantonnées dans des espaces d’où elles ne pouvaient sortir, on les a comptées chaque année à l’étable, on a confisqué celles qui dépassaient le chiffre réglementaire, on a même autorisé chacun à les fusiller sur sa propriété; mais ces mesures n’ont pas fait diminuer sensiblement la charge de la race caprine que porte le sol de la Savoie, elle est encore aujourd’hui d’environ 15,000 têtes dans le département de la Savoie, à peu près le même nombre qu’avait trouvé l’administration française de 1806. La plupart des règlemens anciens et nouveaux sont entachés d’un vice radical qui les rend impuissans, même odieux en certains cas : ils manquent d’égards pour le malheureux et ne tiennent pas compte