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qu’ils respirent de même, qu’ils meurent de même, que tout enfin « est soumis à la vanité. » Il faut croire pourtant que la stoïcienne biblique avait proposé au jeune comte d’autres méditations que celles-là. Au milieu de ces décourageantes pensées du sage d’Orient, il y a un cri soudain qui éclate : « J’ai vu sous le soleil l’impiété dans le lieu du jugement et l’iniquité dans le lieu de la justice, et j’ai dit en mon cœur : Dieu jugera le juste et l’injuste, et alors ce sera le temps de toutes choses. » Le temps de toutes choses, c’est-à-dire l’éternité, voilà ce que l’Ecclésiaste oppose à ce temps limité que remplissent successivement nos travaux périssables, et telle est aussi l’image que la mère du régent essayait sans doute de faire apparaître à l’esprit du libertin. Le caractère étrange de la duchesse d’Orléans est tout entier, ce me semble, dans cette méditation de l’Ecclésiaste. Mêmes contradictions apparentes, mêmes sentimens amers, violens, heurtés, la force sous le découragement, la foi sous le scepticisme, l’homme confondu avec la bête et cité une heure après devant le juge éternel. Ah ! qu’est-elle devenue, la bible du comte Maurice? Au moment où l’on publie tant de lettres de la duchesse d’Orléans, lettres allemandes ou françaises qui ressemblent parfois à un grimoire sauvage, qui retrouvera ce commentaire des saints livres écrit en pleine régence?

Pendant les trois années qui suivent (1722-1725), études et plaisirs, voyages et projets de toute sorte se succèdent dans la vie du comte de Saxe, vie décousue, inquiète, que tourmente l’oisiveté. On voit par la correspondance du comte de Flemming, et ce fait a échappé jusqu’ici à tous les biographes, que le roi de Pologne avait conçu ou agréé la pensée de marier Maurice avec une princesse de Holstein-Sonderbourg. Il lui avait fait écrire à ce sujet : « Conduisez-vous bien, et je vous viendrai en aide; je ferai de vous un prince. » La même correspondance nous apprend peu de temps après que Maurice jouait un jeu d’enfer, et qu’il avait perdu dans une soirée une somme considérable avec un général français. «Vous le voyez, ajoute le confident du ministre saxon, il n’y a pas lieu d’espérer qu’il s’amende. » Il ne paraît pas d’ailleurs que Maurice ait été fort séduit par l’idée de ce mariage; si l’insuccès de ce plan doit être attribué à l’hostilité toujours persistante du comte de Flemming contre les Kœnigsmark, Maurice ne se mit guère en peine de déjouer sa malveillance. Quant à Frédéric-Auguste, placé entre l’influence de son ministre et les sollicitations d’Aurore de Kœnigsmark, on le voit, dans ses rapports avec son fils, passer tour à tour de la froideur à la sympathie. C’est pourtant ce dernier sentiment qui l’emporte pendant la période que nous traversons. Maurice étant venu à Dresde au mois de décembre 1723, le roi le chargea d’une négociation auprès du régent. Quelle négociation?