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et de vos lumières pour ne vous pas prier de m’accorder vos avis. Je vais à présent au plus pressé, et je suis occupé à faire une milice pour mettre le pays hors d’insulte, qui doit toujours y rester. Elle pourra bien aller à dix mille ou vingt mille hommes. Les officiers ne me manqueront pas, tout en fourmille ici. Je n’y mettrai que des Courlandais, et si je puis avoir d’autres troupes, soit de la Prusse ou de l’Allemagne, je pousserai en avant tout cela en cas d’attaque. Les Moscovites pourraient bien m’en donner aussi, si j’épouse la princesse; mais ces messieurs se plaisent quelquefois dans les entrées, et c’est un opéra pour les faire démarrer : c’est pourquoi je n’aime pas à avoir affaire à eux. Enfin je verrai. Si cela commence et que vous vouliez être de la partie, vous me ferez grand plaisir et honneur. Peut-être que le roi vous le permettra; je vous propose ceci comme un amusement digne de vous. Adieu, mon cher comte; honorez-moi de votre amitié, et soyez persuadé que vous n’aurez jamais personne qui vous soit aussi sincèrement attaché.

« MAURICE DE SAXE. »

«Raisonnez, je vous prie, de tout ceci un peu avec le prince de Wurtemberg; il m’honore de ses bontés et il est de très bon conseil. Assurez-le, je vous prie, en même temps de mes obéissances. Mes complimens à ma chère sœur[1]. Vous ne croirez peut-être pas que j’ai entrepris cette expédition sans un sou et que l’on m’a refusé de l’argent avant que le grand-chancelier fût arrivé. »


Ainsi c’est de la Pologne principalement que Maurice s’attend à une attaque; les Russes au besoin lui prêteraient leur appui. Étrange illusion! l’orage éclate, et il vient de la Russie. Il est vrai qu’il ne s’agit point ici du gouvernement russe, mais d’un homme, d’un favori du hasard, accoutumé à voir triompher ses caprices, et qui va essayer de défaire par la violence tout ce qui vient de se faire à Mitau. Cette fois seulement le fastueux et hardi personnage, celui devant lequel se courbent les têtes les plus hautes à Saint-Pétersbourg, aura trouvé son maître. Aventurier contre aventurier, Menschikof en face de Maurice de Saxe, le spectacle est curieux. Ce duel, qui ne dure pas moins de quinze jours, est le dernier acte de cette tragi-comédie, l’élection d’un duc de Courlande.


III.

Le lendemain même du jour où Maurice avait été élu duc de Courlande, le général russe Sentrovicz, accompagné de l’adjudant Liéven, arrivait à Mitau, et, apprenant l’élection du comte de Saxe, il annonçait d’une voix menaçante l’arrivée imminente du prince Menschikof avec un corps de douze mille Russes. Au même moment, et sans se troubler de ces menaces, Maurice notifiait son élection

  1. Une des filles naturelles du roi de Pologne, sans doute la comtesse Rutowska, si cordialement dévouée à la cause de Maurice.