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objective ; le document existe qui a servi à déterminer l’œuvre ; le thème que l’artiste a choisi est connu ; quel qu’il soit, il est dans la nature. Chez les peintres même, Breughel, Callot, Teniers, qui ont fait la plus large part à la fantaisie, l’imagination reste encore incapable de créer ; leurs animaux fantastiques n’ont d’élémens que dans la nature, et ce n’est point inventer une forme particulière que d’agencer un massacre de cerf sur un corps de lézard. Parmi les arts plastiques, l’architecture, procédant par combinaison et cherchant musicalement, pour ainsi dire, la précise harmonie des lignes, pourrait peut-être réclamer son droit de cité parmi les créateurs ; quant à la sculpture et à la peinture, ce sont des arts d’imitation, pas autre chose, et ce serait à mon sens commettre un étrange abus que de les placer au niveau de la poésie et de la musique, qui seules ont le caractère distinctif de la puissance créatrice, car seules elles font de rien quelque chose.

La plupart des peintres de nos jours semblent, du reste, se contenter de cette mission peu importante ; dédaignant tout travail intellectuel qui pourrait leur apprendre à idéaliser quelque peu l’art matériel par excellence qu’ils exercent, ils ne se préoccupent guère que de l’exécution, et ne s’aperçoivent pas qu’en agissant ainsi ils en viennent à n’être plus que de très adroits ouvriers. Que dire, par exemple, de M. Blaise Desgoffe, sinon que son tableau, Fruits et Bijoux, est plutôt un objet de haute curiosité qu’une œuvre d’art ? Jamais peut-être la science du trompe-l’œil n’a été plus loin, et ce serait admirable, s’il n’était puéril de dépenser de tels et si consciencieux efforts pour arriver à un résultat presque négatif, c’est-à-dire uniquement obtenu pour le plaisir des yeux et ne s’adressant à aucune des facultés de l’esprit. Il y a là des raisins, un bout d’étoffe, qui sont extraordinaires, j’en conviens ; jamais Denner lui-même n’a atteint à ce degré de finesse et de rendu ; la branche de cerise, le verre qui est peint de telle sorte qu’on peut facilement reconnaître qu’il est en cristal de roche, la crépine d’or du velours vert, sont des merveilles d’exécution, et je ne sais si l’imitation a jamais été poussée à ce degré surprenant. Ai-je besoin de dire que cette peinture est faite sur panneau, afin que le grain d’une toile ne pût altérer le minutieux travail du pinceau ? C’est une chinoiserie exquise, mais parfaitement inutile, et je me demande si les admirateurs de ce genre de talent ne ressemblent pas à un homme qui, dans le manuscrit d’un poème, ne se préoccuperait que de la calligraphie. C’est très curieux comme tour de force, mais, il faut le dire, c’est un enfantillage, et à ce tableau je préfère, sans hésiter, les Fruits cueillis de M. Maisiat. Au moins là je reconnais de véritables qualités de peintre, et je ne me trouve plus en présence d’une œuvre où la patience et la volonté ont tout