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fêtes de soleil et d’azur où il excelle. Pour bien juger ce coup de vent, j’aurais voulu le voir à côté d’une autre toile de M. Fromentin ; de cette façon nous l’aurions eu complet sous les yeux. L’un des tableaux eût été le commentaire de l’autre ; nous aurions oublié ce repentir de selle qui produit un si singulier effet sur le ciel gris ; nous aurions, j’en suis convaincu, trouvé dans d’autres draperies une légèreté de brosse qui fait défaut à celles-ci, et nous aurions compris alors pourquoi M. Fromentin a tenu à nous montrer un fait exceptionnel et relatif placé très loin de l’abstrait qu’il a toujours cherché. En effet, c’est là le reproche le plus grave qu’on puisse adresser au jeune maître. À tort ou à raison, l’Orient, particulièrement le Sahara, passe pour le pays du soleil par excellence. C’est la patrie de l’aridité, de la chaleur, du miroitement, de l’azur implacable et infini. S’il y a des tempêtes, ce sont des tempêtes de sable ; s’il y a des tourbillons, ils poussent devant eux l’haleine brûlante du khamsin, et non point des torrens d’eau. M. Fromentin sait aussi bien que moi comment les Arabes appellent le Sahara : « le pays de la soif. » Un orage humide dans le désert, ce n’est plus le désert. Le désert abstrait, c’est une ligne rose et une ligne bleue, le sable et le ciel. — Or quelle différence existe-t-il entre ce coup de vent dans des plaines herbues et un coup de vent dans les pâturages de la Normandie ? Aucune sous le rapport de l’aspect général. Que faudrait-il changer pour que l’un devînt l’autre ? Les costumes, c’est-à-dire l’accessoire. — M. Fromentin doit m’entendre, je n’en doute pas, et il doit surtout comprendre combien il m’est pénible de n’avoir pas à le louer exclusivement dans un recueil où tous les lecteurs sont, comme moi-même, habitués à l’admirer, soit qu’il tienne la plume, soit qu’il tienne le pinceau. Ce n’est point que je veuille parquer M. Fromentin dans un genre spécial et faire de lui le peintre patenté des ciels purs et des Arabes en costume de fête : non pas ; il nous a prouvé assez souvent la flexibilité de son talent, les ressources variées qu’il possède, pour que nous ayons en lui une confiance qu’un fait passager ne peut démentir. Nous savons très bien que M. Fromentin ne ressemble en rien à ces artistes qui, tournant toujours dans le même cercle, répétant sans relâche leurs productions, pour peu qu’elles aient obtenu une fois quelque succès, refont incessamment le même clair de lune, la même allégorie sous des noms différens, le même Breton dansant avec la même Bretonne, le même soldat debout, couché, blessé, victorieux, mourant ; c’est là un fait de stérilité et de vanité puérile dont jamais il ne s’est rendu coupable ; il a toujours cherché mieux et plus haut ; il a développé sans repos les qualités sérieuses dont il ne portait primitivement que le germe ; dans le domaine de l’art comme dans celui de la nature, il a choisi, entraîné par ses