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lui appliquer. Sanuto veut aussi que l’interdiction du commerce avec l’Égypte soit générale, proclamée par toute la terre, applicable à tout peuple et à toute denrée. Il faut que cette interdiction soit exécutée sur terre et sur mer, à l’aide de mesures sévères et de peines rigoureuses[1]. Une flotte sera chargée de veiller sur le maintien du blocus. Les prises qui seront faites appartiendront au capitaine et aux équipages, pour les intéresser à être vigilans[2]. Cette flotte sera vénitienne et montée par des Vénitiens, « parce que les Vénitiens sont nourris à la mer[3], parce que des hommes de l’Occident ce sont ceux qui connaissent le mieux la navigation de l’Orient, parce qu’ils ont des ports nombreux dans l’Archipel, et qu’ils sont par cela même les surveillans naturels du blocus égyptien. » Ajoutez qu’en leur confiant cette surveillance, Sanuto fait des Vénitiens les maîtres et les arbitres souverains de tout le commerce européen.

M. Thiers raconte[4] que Napoléon en 1810 « voulut rendre plus sérieux que jamais le blocus continental, qui n’avait été exécuté avec vigueur que dans les ports de la vieille France, qui ne l’avait presque pas été dans ceux de la France nouvelle, comme la Belgique, et nullement dans les états parens ou alliés, comme la Hollande, le Hanovre, les villes anséatiques, le Danemark. Son ardeur pour ce genre de guerre n’était pas moindre que pour celui qu’il faisait si bien sur les champs de bataille. Ce n’étaient pas seulement les tissus de coton ou les divers produits de la métallurgie qu’il s’agissait d’écarter du continent, si on voulait porter un grand préjudice aux Anglais ; c’étaient surtout leurs marchandises coloniales, telles que le sucre, le café, le coton, les teintures, les bois, etc., qui constituaient la monnaie dont on payait dans les Indes occidentales et orientales les produits manufacturés de Manchester et de Birmingham. Non-seulement leurs colonies, mais les colonies françaises et hollandaises, qu’ils avaient successivement conquises, mais les colonies espagnoles, qu’ils avaient réussi à s’ouvrir depuis la guerre d’Espagne, ne les payaient qu’en denrées coloniales, qu’ils étaient réduits à vendre ensuite en Europe pour réaliser le prix de leurs opérations industrielles et commerciales. Ils avaient imaginé, pour introduire ces denrées sur le continent, divers moyens fort ingénieux. Ainsi, outre le grand dépôt de Londres, où tous les neutres étaient obligés de venir toucher pour prendre

  1. Secreta fidelium Crucis, quatrième partie, chap. Ier, p. 27 et 28.
  2. « On avait accordé aux douaniers et aux soldats le cinquième des prises, et c’était assez pour leur inspirer autant de joie que de zèle. » (Thiers, Histoire de l’empire, t. XII, p. 191.)
  3. « Quia homines veneti nutriti sunt in aqua. » Secreta, etc., p. 35.
  4. Tome XII, p. 36.