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a fait de nouvelles preuves. Il n’est pas admissible qu’à notre époque, avec les résultats et les promesses que la révolution nous a donnés, avec le génie de la France sympathiquement compris, des esprits distingués puissent croire qu’il y ait pour nous dans l’avenir un autre gouvernement possible que celui que nous appelons, depuis 1789, le gouvernement du pays par le pays. S’il était des gens qui voulussent fermer les yeux à cette perspective, ces gens-là croiraient la France condamnée à une décadence incurable, ils seraient ses calomniateurs systématiques, et ce n’est point parmi ceux qui ont eu l’honneur de guider ses destinées que l’on peut s’attendre à trouver de tels détracteurs de notre patrie. Eh bien! si la France est appelée à se gouverner un jour elle-même, et si c’est pour l’en rendre mieux capable que l’on a cru consciencieusement que la liberté, au sortir d’une tourmente révolutionnaire, devait lui être discrètement mesurée, comment ne se féliciterait-on point des timides progrès que le régime représentatif a pu accomplir parmi nous cette année? Il nous semble que l’initiative à laquelle nous devons le décret du 24 novembre ne peut voir dans ce qui s’est passé depuis six mois, au lieu de motifs de regrets, que des raisons de s’applaudir de son œuvre et de la continuer. Devait-on espérer que la transition vers ce qui sera le régime définitif de la France, et ce qui a été appelé le couronnement de l’édifice, pût s’accomplir plus doucement pour le pays et avec moins de secousses pour le pouvoir? L’enseignement qui sort des faits récens dit au pouvoir d’aller en avant, non de revenir en arrière. Nous n’avons pas l’idée de signaler ici les divers progrès libéraux que cette expérience conseille et semble préparer. Il y a d’ailleurs dans le mouvement des choses une force intime qui va se développant toute seule, indépendamment des volontés humaines. Cette force fera naturellement sortir de la situation tout ce qu’elle contient. Nous avons en ce moment un curieux exemple de ce développement naturel des choses. Qui eût dit, il y a quelques années, que sous le régime actuel on en pourrait venir à personnifier des systèmes de politique en des combinaisons ministérielles, et que des noms propres pourraient devenir les emblèmes de tendances différentes ? Tel est pourtant le phénomène auquel nous assistons depuis quelques semaines, et ce phénomène est déjà un résultat notable de la session. On parle de remaniemens de cabinet, on met en avant divers ministères possibles; l’opinion publique, en discutant des noms, rend hommage à l’importance des personnes. Elle a cru voir le duc de Persigny rôdant autour du pouvoir avec le désir prononcé d’y rentrer, et comme le duc de Persigny ne lui est connu que par sa passion pour les candidatures officielles, par son antipathie pour le gouvernement parlementaire, par ses classifications des citoyens en populations urbaines, qu’il aime peu, et en populations rurales, qu’il chérit, par la doctrine historique des juges hanovriens qu’il a inventée en haine de la liberté de la presse, cet homme politique est devenu pour elle le représentant des idées rétrogrades et réactionnaires.